lundi 22 juin 2009

Sauvage Edouard ou Catherine ?

L’INTERSEXUEL

 

Dans Le Banquet, Platon propose par la bouche d’Aristophane le mythe de l’origine de l’homme. L’être humain fut au début un être rond formant une boule, dotée de quatre mains, quatre jambes et deux visages identiques. Cet être avait une force considérable et il s’attaqua aux dieux. Pour affaiblir la communauté des humains Zeus eut l’idée de les diviser en deux les rendant ainsi plus nombreux. Cette division sépara les sexes et généra la sexualité. Séparés sexuellement, les êtres humains marchèrent désormais sur deux jambes. "Mais si les hommes continuent à mal se comporter, je les diviserai à nouveau et ils sautilleront sur une seule jambe" précise Zeus. Les êtres furent coupés en deux, et il en résulte une dichotomie entre l’homme et la femme. Le sexe auquel nous appartenons passe pour être la donnée la plus évidente qui soit. On est homme ou femme, masculin ou féminin, hétéro ou homo. Nous vivons dans un monde d’apartheid sexuel: les femmes sont comme ceci, les hommes comme cela; on se doit d’être toujours en conformité avec notre sexe biologique. Le message est clair: on doit être homme ou femme. Or, pourquoi ne serions nous pas biologiquement, socialement et sentimentalement homme et femme ?

L'intersexualité est l'état d'un être humain (ou d'un animal), dont les organes génitaux sont ambigus, rendant difficile l'identification en tant que mâle ou femelle. Elle peut résulter de troubles chromosomiques ou hormonaux et se manifeste à divers degrés sur le plan physique. Une personne intersexuée présente une morphologie sexuelle extérieure et/ou interne qui appartient aux deux sexes officiels. Les anciens utilisaient les termes d’hermaphrodisme, pseudo-hermaphrodisme, androgynisme, etc... L’Hermaphrodite est donc la figure emblématique d’une double sexualité qui intrigue, attire et dérange. Parfois "naît un enfant qui finit par n’avoir plus apparence humaine mais seulement animale : c’est ce qu’on appelle les monstres" écrit Aristote. Montaigne rapporte le cas d’une femme changée en homme le jour de ses noces, à l’époque de Pline, et celle plus contemporaine d’une fille de Vitry le François qui avait tous les attributs d’un homme à vingt deux ans. Plus près de nous, Herculine Barbin née en 1838 est mort en 1868 sous le prénom d’Abel. Cette personne fut à sa naissance déclarée fille alors qu’elle ne l’était pas. Pourvue du diplôme d’institutrice, elle voit son état civil réformé par un jugement du tribunal de La Rochelle. Ne pouvant supporter cette erreur de diagnostic elle se suicide à l’age de 30 ans.

Un cas identique semble avoir eu lieu dans notre département ; c’est du moins ce que rapporte le journal l’Union de la Haute Marne du 2 octobre 1880 sous le titre " Un étrange phénomène ": " La nuit dernière, les gardiens de la paix de service dans le premier arrondissement trouvaient rue Saint Honoré, couché sur la voie publique un individu qui, faute de domicile, avait pris gîte à l’hôtel de la belle étoile. Après avoir passé la nuit au poste de la rue Villedo, où il avait été conduit, ce vagabond fut mené, dès le matin, au bureau de M. Allais, commissaire de police, pour y être interrogé. L’individu arrêté déclara se nommer Edouard Sauvage, âgé de quarante huit ans, né à Nogent le Roi (Haute Marne), et jouir d’une pension trimestrielle de cent quatre vingt francs que lui sert l’Ecole de médecine. La suite de l’interrogatoire releva des particularités tellement étranges, bizarres et extranaturelles (sic), que nous ne pouvons les passer sous silence. On était en présence d’un phénomène, mais d’un phénomène unique. Edouard Sauvage, grâce à une fantaisie de dame nature, a eu l’avantage singulier de posséder durant le cours de sa vie, les organes bien distincts de deux sexes différents, non par suite d’un hermaphrodisme natif, mais par l’effet de transformations successives qui se sont opérées dans sa personne. Depuis sa naissance jusqu’à l’âge de huit ans, Sauvage a présenté toutes les apparences d’une petite fille ; il n’y avait pas le moindre doute sur son sexe ; aussi l’enfant avait-il été déclaré comme étant du sexe féminin, et ses parents lui avaient donné le prénom de Catherine. A huit ans, une transformation étrange commence chez Catherine et s’accomplit peu à peu. Les organes féminins disparaissent et font place à ceux du sexe fort. Le corps subit une transformation analogue ; les membres frêles et mignons de la fillette prennent de la force et du développement, ses traits délicats s’accentuent ; bref, au bout de quelque temps, la transformation est complète. Catherine n’est plus Catherine , elle n’a rien de sa devancière ; c’est un jeune garçon auquel il faut donner un nom plus en rapport avec son nouveau sexe; de là le prénom d’Edouard. Jusqu’à vingt ans, aucun changement ne se manifesta chez le jeune Sauvage. Le sexe après de longues hésitations paraît décidément fixé, et tout fait espérer que cette transformation est la dernière ; mais le jeune Edouard comptait sans les caprices de la nature, qui renouvelait sur lui les métamorphoses de la fable antique. A vingt ans, encore une modification est introduite dans l’état d’Edouard Sauvage. Cette fois, du moins, ce n’est pas un changement radical, une transformation complète : c’est une augmentation, une aggravation de sexe pour ainsi dire. Ces mutations successives ne l’ont pas empêché d’exercer tour à tour, les professions de cocher, valet de chambre, cuisinier, etc… Un de ses anciens maîtres ayant parlé de ces faits, aussi curieux qu’étranges, à un médecin de ses amis, ce dernier appela sur eux l’attention de ses collègues de l’Ecole de médecine. On fit des recherches et Sauvage, étant retrouvé, fut appelé à Paris ; là moyennant une pension de 180 fr. par trimestre, les professeurs de la faculté de médecine acquirent le droit de se livrer sur Sauvage à une série d’études et d’expériences dont nous rendrons compte, quand nous en connaîtrons les résultats. Malheureusement pour le pauvre phénomène, la pension n’est payable qu’à la fin du trimestre ; comme il était complètement dénué de ressources, il fut forcé de choisir le pavé de la rue pour domicile. Sauvage a été envoyé au dépôt sous l’inculpation de vagabondage. Espérons que l’Académie de médecine fera réclamer son sujet et lui procurera un meilleur abri. "

D’après les déclarations d’Edouard Sauvage, il naquit Catherine vers 1832 à Nogent. L’état civil ne comportant qu’une naissance à ce prénom entre 1823 et 1842, et aucune à celui d’Edouard, c’est donc le 13 mars 1826 que vint au jour Catherine fille de Jean Baptiste Sauvage 42 ans, coutelier domicilié au Haut des Vignes à Nogent, époux de Marguerite Demongeot, 40 ans. Ses parents eurent-ils un doute sur le sexe de l’enfant à sa naissance ? Nul ne le sait, mais on peut toutefois constater dans le registre d’état civil que l’écriture du prénom n’est pas de la même main que celle qui a rédigé l’acte ; ceci ne constituant toutefois pas une preuve. La famille a probablement quitté rapidement Nogent parce qu’elle ne figure pas sur les recensements de 1836, ni sur les suivants. Y a t-il eu un jugement autorisant le changement de prénom ? Qu’est elle/il devenu ? Il semblerait que la presse locale n’en ait plus parlé. Merci à tous ceux qui auraient des éléments sur cette famille de les communiquer au Centre Généalogique de Haute Marne.

 

Sources:

Archives Départementales de Haute Marne.

Etat civil de Nogent 1E353/10 et 1E353/11 ; 158M353/1 et 158M353/2 ; 7J45.

Encyclopédies diverses.

 

 



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