lundi 22 juin 2009

Belin: une famille d'éditeurs

LE VILLAGE DU LIVRE

Ou, comment la chance sourit aux audacieux

 

 

Au début des années 1960, la bourgade britannique de Hay-on-Wye s’érige en " village du livre ". Elle devient rapidement le royaume des chineurs, l’empire des libraires, bouquinistes et autres relieurs, imprimeurs ou artisans fabricants de papiers, voire restaurateurs. Depuis, d’autres cités européennes s’en sont inspirées, et il n’en existe pas moins de sept dans l’hexagone. S’il devait s’en créer un en Haute-Marne, le village de Genevrières serait tout indiqué parce que c’est probablement la commune de France qui a vu naître le plus grand nombre de libraires.

Les descendants d’un d’entre eux commercialisent encore des ouvrages scolaires : la Librairie Classique Eugène Belin. Peut être est ce en souvenir d’un lointain aïeul dont il est, ci après, rapporté la descendance ?

Une lignée d’éditeurs libraires

1 Nicolas BELIN naît vers 1720 et décède le 21 frimaire an VI à Genevrières. Il épouse avant 1743 Marie Anne AGNUS, qui lui donnera 13 enfants dont quatre moururent en bas âge. Il exercera la profession de recteur d’école à Genevrières de 1743 à 1778, date à laquelle il deviendra receveur des traites foraines, puis ensuite l’homme de confiance du seigneur du village, Girault. On trouve sa signature dans la plupart des actes paroissiaux de la commune, d’abord seule puis accompagnée de celle de ses fils. François (12) figure comme témoin assisté et signe en 1764 alors qu’il n’a que 16 ans et Louis (13) en 1778 à 18ans. Cela démontre une certaine instruction des enfants, leur responsabilisation, et confirme la notoriété du père.

11 Claude BELIN né à Genevrières le 24 juin 1745 et mort à Paris le 4 décembre 1816. Il épouse Marguerite THEURIET avec laquelle il aura deux enfants puis en secondes noces Victoire HUGUENY qui lui donnera une fille. Travaille comme ouvrier d’imprimerie.

111 François BELIN né vers 1775 à Dijon (21), décède à Paris le 23 août 1842 où il avait épousé le 25 brumaire an IX Anne Louise CUIGNET.Typographe.

1111 Marguerite BELIN

1112 Antoine Henri BELIN né à Paris le 27 avril 1810 où il décèdera le 17 décembre 1857. Exercera successivement les professions de graveur, imprimeur lithographe puis ingénieur.

112 Françoise BELIN

113 Jeanne Emilie BELIN

12 François BELIN né à Genevrières le 4 juillet 1748 mort à Paris le 10 décembre 1808. Il quitte son village natal pour la capitale vers 1768 puis connaissant le latin et le grec, il entre en apprentissage en 1773 pour apprendre le métier de libraire imprimeur. Au terme des quatre années réglementaires il subit l’examen lui permettant d’accéder à la maîtrise et s’installe comme libraire rue Saint Jacques en mars 1777 ; la profession d’imprimeur demandant une mise de fonds trop importante. Il a comme voisin un traiteur rôtisseur qu’il fréquenta au moins pour lui demander la main de sa fille, Marie Geneviève SELLE, puisqu’il épouse celle ci à l’église Saint Séverin le 13 mars 1780. Il connaît une ascension professionnelle et financière considérable puisqu’en 1789 il devient électeur de son district et même sous lieutenant dans la garde nationale. Avant la Révolution le libraire était un peu l’éditeur actuel; c’est ainsi qu’on trouve essentiellement à son catalogue des ouvrages de religion, de géographie, d’histoire, de médecine, d’architecture et de grammaire, sans oublier des ouvrages scientifiques et techniques. En 1792 il comporte environ 500 titres, dont la Constitution française qui mènera François BELIN en prison en 1794 pour en avoir vendu une édition contenant un préambule subversif. Il en sortira suite à la chute de Robespierre après avoir passé quatre mois derrière les barreaux et continuera son activité à laquelle il adjoindra celle d’imprimeur, tout en enrichissant un catalogue ouvert aux idées nouvelles. C’est ainsi que fut fondée la Librairie Belin que continuèrent ses descendants.

121 Léonard François BELIN né le 13 janvier 1781à Paris mort le 2 août 1855 à Paris épouse le 17 février 1808 à Paris Marie Catherine Nicole LEPRIEUR.

Libraire à Paris où il se fait appeler BELIN-LEPRIEUR, " est fils d’un homme de beaucoup d’esprit, et le gendre d’un homme qui est tout le contraire. Il a reçu une éducation assez soignée et est estimé de tous ceux qui le connaissent. Il est bon citoyen, bon père et bon époux ". Il fait essentiellement dans le roman.

1211 Jules Léonard BELIN né le 11 juin 1809 à Paris et y épouse le 21 février 1835 Edmée Cécile CŒUR. Avocat à son mariage, il se lancera également dans l’imprimerie puis devient juge au tribunal de commerce et auteur de différents ouvrages édités par son père.

122 Adélaïde Eulalie BELIN née en 1782 morte en 1835 épouse en 1806 Louis Charles CANTRELLE

123 Auguste Jean BELIN né à Paris le 18 juin 1786 mort le 4 mars 1851 à Chartres (28). Il épouse à Paris, le 29 juin 1813 Adèle MANDAR, qui décèdera en 1845, et y exercera la profession de libraire sous le nom de BELIN-MANDAR. Veuf, il se remarie alors le 25 avril 1846 à Saint Cloud, avec Marguerite Aimable GAUTIER, ville ou il s’installera alors comme imprimeur et peut être considéré comme le véritable successeur de son père François (12). Parmi ses éditions, citons en 1844 le " Précis de l’histoire du Moyen Age " signé par l’abbé Drioux, professeur au séminaire de Langres, qui n’y publiera pas moins de 96 titres en 48 ans et dont la " Mythologie " n’a été retirée du catalogue qu’en 1967.

1231 Marie Pierre Auguste BELIN naît à Paris le 3 avril 1814 où il épouse le 20 mars 1851 Louise Françoise FERRANT. Il travaille tout d’abord comme libraire avec son père puis deviendra rapidement médecin.

1232 Marie Louis Jules BELIN naît le 28 avril 1815 à Paris où il s’installe comme libraire. Puis il va s’établir comme imprimeur à Santiago du Chili où il épouse Faustina SARMIENTO fille du futur président de la république d’Argentine.

1233 Marie Eugène BELIN né le 6 décembre 1816 à Paris ou il décède le 22 novembre 1868. Il y épouse le 9 décembre 1848 Hortense Bernardine SANGNEZ. Deviendra libraire puis imprimeur à Saint Cloud (92) et succédera à son père à la tête de l’entreprise familiale. Selon l’enquête réalisée pour lui accorder le brevet de libraire, " il offre surtout dans l’intérêt des mœurs du gouvernement, des principes de moralité capables à lui faire refuser d’éditer des ouvrages subversifs et immoraux, enfin, c’est un homme instruit et bien posé dans la partie commerciale ". Il deviendra également adjoint au maire du 6ème arrondissement et vice président du cercle de la librairie. Après son décès sa veuve constitue avec ses fils et son gendre une société : La Librairie Classique Eugène Belin qui existe encore de nos jours.

12331 Henry BELIN né en 1849 mort en 1921 épouse en 1873 Marguerite DAVIOUD. Libraire à Paris puis imprimeur à Saint Cloud.

123311 Jean Paul né en 1888 mort en 1931

12332 Tony BELIN né en 1853 mort en 1925 épouse en 1881 Alice GOSSELIN Libraire à Paris puis imprimeur à Saint Cloud.

12333 Marthe BELIN née en 1855 morte en 1941 épouse en 1875 Paul de SAIVRE dont les descendants sont toujours à la tête de la Librairie Belin

12334 Paul BELIN né en 1861 mort en 1939 épouse en 1887 Marie GOSSELIN

123341 Solange BELIN née en 1899 épouse en 1920 Jacques BROSSOLLET dont les descendants sont toujours à la tête de la Librairie Belin

1234 Marie Joséphine BELIN née le 21 avril 1850 à Paris

124 Thermidor Alexandre BELIN dit Théophile né le 6 Thermidor an II (24 juillet 1794) à Paris. Il épousera le 30 décembre 1826 à Epernay (51) Adèle Thérèse Victoire SESTRE puis en secondes noces Zoé Mélanie HUOT LONGCHAMP. Il s’installe tout d’abord comme fabricant de papier à Renaison (42) avant de devenir imprimeur à Sézanne (51) puis s’associe avec Henri PLON fondateur de la maison Plon-Nourrit.

125 François Dominique BELIN, né le 28 thermidor an VI à Paris (15 août 1798) y meurt le 22 avril 1854. Il y épouse le 12 juin 1823 Marie Mélanie Pélagie PICHARD. S’installe comme libraire, mais fera faillite. Il n’était toutefois " pas sans esprit, et est connu par divers opuscules et diverses chansons ".

13 Louis BELIN né à Genevrières le 11 septembre 1760. Décède probablement à Paris peu avant 1820. Apprenti libraire puis commis chez son frère François (12) à partir de 1785.

Les autres enfants du couple Nicolas BELIN (1) et Marie Anne AGNUS n’ayant pas embrassé les métiers de l’imprimerie ni de l’édition, il n’ont pas été mentionnés dans cette généalogie descendante, à l’exception du suivant :

14 Nicolas BELIN né à Genevrières le 20 juin 1765 est le plus jeune des frères de François (12) et le seul qui soit resté au pays pour exercer la profession de fabricant de bas. Il y épouse le 29 septembre 1793 Barbe LAVOCAT qui lui donne plusieurs enfants assurant ainsi une postérité locale à la famille, mais il incarne surtout le lien entre Genevrières et Paris.

Des entrepreneurs audacieux

En date du 10 mars 1777 François BELIN (12) est donc reçu libraire. Cette année symbolise officiellement la fondation de la librairie du même nom, ce qui est attesté par la Bibliothèque Nationale de France, et pourtant un livre mentionne l’existence de la librairie BELIN à Paris dès 1773. Cet ouvrage,  " Joseph, poème en neuf chants ", a été publié pour la première fois en 1767, par Laurent François Prault, puis plusieurs fois réimprimé puisque l’édition datée de 1773 en est la troisième. Dédié à Son Altesse Royale, Monseigneur Frédéric Guillaume, Prince de Prusse, ce livre en vogue était presque devenu un classique, "cependant il offre quelquefois des scènes de volupté dont les couleurs vives et transparentes peuvent coûter l’innocence aux jeunes personnes auxquelles on le confie avec une imprudente sécurité. " Comment se fait-il donc que, n’étant pas libraire en 1773, François BELIN ait réussi à éditer un ouvrage alors que l’accès à la profession était réglementé ?

De 1730 à 1750, la politique menée par les libraires consistait à ne quasiment plus recruter d’apprentis, réservant toutes les formations à leurs descendants. Cette gestion de l’emploi leur a permis de faire face à la crise économique qu’ils traversaient, mais au moment où les affaires reprirent, nombre des leurs avaient disparus. Ils avaient laissé la place à des nouveaux venus. Des anciens colporteurs qui après avoir débité leurs livres dans les bourgs, sur les marchés et les foires, se sont installés de manière sédentaire dans le quartier de la rue Saint Jacques à Paris. Un peu partout des boutiques s’ouvrent et l’on y vend des livres plus ou moins tolérés, mais cela ne fait pas que des mécontents. Les philosophes apprécient ces " libraires-éditeurs " qui les publient. Etienne Vincent Robin est de ceux là quant il fait paraître l’" Histoire de Pierre le Grand ", de Voltaire, ou Joseph Merlin qualifié par celui ci de " libraire des philosophes ". En 1767, le pouvoir prescrit de nommer dix sept nouveaux maîtres dispensés d’apprentissage pour renouveler la librairie parisienne, et espère ainsi contrôler les publications qui lui échappent. En place des quatre années d’apprentissage, Joseph Merlin ne fera que deux mois chez Laurent François Prault pour régulariser sa situation ; quant à Etienne François Robin, il sera reçu directement par arrêt du Conseil ; Panckoucke, fils d’un libraire lillois, fut reçu moyennant 1400 livres et huit jours d’apprentissage. Vincent-Roch Moureau, reçu le même jour que François BELIN, paya 1300 livres dont 300 pour abréviation du temps apprentissage. Lorsque François BELIN signe son contrat d’apprentissage, le 3 décembre 1773, il est déjà qualifié de bourgeois, ce qui prouve bien que nous n’avons plus à faire au jeune homme quittant sa province pour apprendre un métier à Paris, mais bien à un homme disposant d’une certaine aisance. Elle lui sera nécessaire pour payer les 1000 livres indispensables à la réception de son brevet de libraire en 1777. La question reste posée quant à l’origine de son autonomie financière mais nul doute que " Joseph " y contribua, tout comme les Lumières avaient obtenu du pouvoir qu’il impose la réception de colporteurs, ou de libraires de province, qui avaient pratiqué un trafic semi clandestin avant d’être tolérés.

Ayant fait fortune, François BELIN (12) était toujours très attaché à la Haute-Marne même s’il semble ne jamais y être revenu. C’est ainsi qu’en 1804 il fait ériger une croix de mission en pierre sur les hauteurs entre Belfond et Genevrières, en remplacement d’un ancien calvaire en bois. Et quant il a besoin d’un ouvrier, il écoute les propositions de son plus jeune frère, Nicolas(14), qui lui enverra ainsi plusieurs enfants du village. Dès 1785, François BELIN (12) s’était adjoint les services de son frère Louis (13) pour l’exploitation de la librairie et vers 1806 de Clément THIERIOT originaire de Genevrières. Ce dernier y est en effet né le 15 mai 1790 de Nicolas THIERIOT, laboureur, et de Marguerite GUYON. Après son apprentissage du métier, Clément THIERIOT restera fidèle à la famille BELIN puisqu’il va tout d’abord seconder la veuve de François (12) puis quelques années plus tard ira travailler chez BELIN LE PRIEUR (121) où il restera jusqu’en 1820. A cette date il s’associera avec François Dominique BELIN (125), mais leur entreprise périclitera. Actif et indépendant de caractère, Clément THIERIOT fondera alors sa propre librairie en 1826.

Vers 1825 Nicolas BELIN (14) recommande à son neveu un nouvel enfant du village : Félix MORISOT. Il s’associera avec BELIN LE PRIEUR (121) avant de s’établir à son compte vers 1856.

Vers 1840, entre comme apprenti à la librairie BELIN, François Elie ANDRE, originaire de … Genevrières où il est né le 15 février 1821 de Louis ANDRE, bourrelier et d’Anne VIARD. Celui ci rachètera vers 1860 la librairie tenue par la veuve de Clément THIERIOT.

D’autres enfants du village sont également " montés à Paris " au XIXème siècle pour y devenir des professionnels du livre, mais revenons cent ans en arrière et quittons la famille BELIN. Comme pour toutes les professions, celle d’imprimeur fut librement accessible en 1791 par la loi supprimant toutes les corporations. 1792 voit la chute de la royauté concrétisée en janvier 1793 par la décapitation de Louis Capet, et le débat se porte rapidement sur la politique économique et sociale. Aux partisans de la liberté illimitée du commerce (liberté des prix et de circulation prônés par les girondins), les montagnards répliquent par le droit de tous à l’existence. Le conflit s’exaspère entre Gironde et Montagne, les départements de l’ouest s’embrasent refusant la levée massive d’hommes de troupe, et des troubles éclatent à Paris. Les presses des journaux girondins sont brisées par des émeutiers le 9 mars 1793. Parmi les imprimeurs Jean Baptiste GARNERY, qui a vu tout son matériel brisé, était natif de Genevrières. Si plusieurs homonymes sont nés dans cette commune, celui qui nous intéresse y vit le jour le 23 mars 1764 de Jean Baptiste GARNERY, laboureur, et de Anne RORET et décèdera en 1843 après y avoir exercé les professions d’imprimeur puis de libraire parfois de manière concomitante depuis 1780 jusqu’au moins 1826 date à laquelle il fait faillite.

Deux cents ans après que reste-t-il, dans les mémoires, de ces haut marnais qui ont imprimé, de leur patronyme, des milliers de pages dans le grand livre de l’édition française? Si un jour vous chinez l’Echo paroissial de Genevrières de l’année 1913, vous y apprendrez beaucoup sur la vie de ces célébrités locales qui se sont essentiellement consacrées aux classiques et vous n’ouvrirez plus sans émotion un opuscule scolaire, signé Belin, auquel nous devons tous une part importante de notre éducation.

Didier DESNOUVAUX

 

 

 



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