dimanche 21 juin 2009

Clément de Ris

UNE TENEBREUSE AFFAIRE
OU L’INCONSTANCE D’UNE GIROUETTE


Entre 1814 et 1815, les changements de régimes conduisent la classe politique à renier à trois reprises ses allégeances. En son sein un opportuniste, Dominique CLEMENT de RIS qui a montré une certaine habileté dans le rôle de la girouette, une sensibilité affairiste qu’il maîtrisait depuis plusieurs années, à tel point qu’Honoré de BALZAC s’est inspiré d’une de ses mésaventures, pour «peindre la police politique aux prises avec la vie privée et son horrible action», dans son roman intitulé une ténébreuse affaire.

Dominique CLEMENT de RIS descendait d’une ancienne famille du sud haut marnais puisque son arrière grand père était bourgeois de Fayl Billot :
1) Louis CLEMENT, né vers 1665, mort à Fayl Billot le 24 avril 1740, était lieutenant du bailli du lieu. Il y épouse le 4 avril 1689 Julienne PETITJEAN, dont :
11) Nicolas CLEMENT de la RONCIERE, capitaine centenier et bourgeois de Langres en 1719. Meurt à Langres Saint Amatre le 23 mai 1763. Il épousa à Chatenay Vaudin le 26 mai 1713 Marie Marguerite FRECARD qui lui donna plusieurs enfants, dont :
111) Louis CLEMENT de RIS, né à Langres paroisse Saint Martin le 23 septembre 1714, mort à Paris, rue du Four Saint Honoré en juillet 1786. Avocat en parlement, procureur au parlement de Paris, conseiller secrétaire du Roi maison couronne de France et de ses finances en la chancellerie de Paris. Il épouse Marie Jeanne AUVRAY, qui enfanta ce héros malgré lui :
1111) Dominique CLEMENT de RIS naît à Paris le 1er février 1750. Comte de Ris et de l’Empire, par lettres patentes du 26 avril 1808, avocat au Parlement. Il était avant la Révolution maître d’hôtel de la reine Marie Antoinette, et quels que fussent les avantages qu’il put trouver à cette charge achetée en 1787, puis à celle de gentilhomme du duc d’Orléans en 1788, il adopta les nouveaux principes. Possédant une terre à Tréguier en Bretagne, où il était receveur des décimes depuis 1781, il y connut Sieyès alors grand vicaire de l’évêque de cette ville et épouse donc ses idées.
Pendant les premières années de la Révolution il habitait son domaine de Beauvais en Touraine (acquis en 1786) lorsqu’il fut nommé, en 1791, administrateur d’Indre et Loire puis membre de son conseil général l’année suivante. Bien qu’il ait présidé le comité de défense contre la Vendée, il fut accusé de modérantisme pendant la Terreur et, poursuivi par Mogue agent du comité de salut public, il sera conduit à la Conciergerie à Paris, d’où il sortira quelques jours plus tard sur les pressantes recommandations de ses amis, et surtout par le crédit de Sieyès et de Julien de la Drôme.
Il reprend alors ses fonctions administratives, puis demeurant rue Madame à Paris, il est nommé chef de division à la commission de l’instruction Publique, dont il deviendra l’un des directeurs avec Garat et Guinguené avant de démissionner en février 1795.
En 1796, il refuse les fonctions d’administrateur du département de l’Indre et Loire, par crainte de nouveaux ennuis.
Après le 18 brumaire, « ce pleutre convient parfaitement au premier Consul qui n’a aucune raison de douter de son obéissance[1] » et le fait sénateur le 26 décembre 1799. Cette place, en le mettant en évidence, lui attira une aventure singulière et qui fit beaucoup de bruit.

Le 23 septembre 1800 CLEMENT de RIS se trouvant presque seul dans son château de Beauvais, près de Tours, six cavaliers vêtus en dragon entrèrent chez lui, s’emparèrent de l’argent liquide et de l’argenterie, puis le forcèrent à monter avec eux dans sa voiture pour le conduire dans un lieu inconnu où ils l’enfermèrent pendant 19 jours dans un souterrain, sans qu’on put avoir de ses nouvelles[2].
Quelques personnes étrangères à la police, mais que le ministre Fouché avait cru devoir recruter pour les besoins de la cause, s’étant trouvées sur son chemin lorsqu’on le transférait dans un autre lieu mirent en fuite ses ravisseurs et lui rendirent la liberté.
Honoré de BALZAC donne de l'événement une explication curieuse : L'issue de la bataille de Marengo ayant été longtemps incertaine, et la nouvelle d'une défaite de Bonaparte annoncée a Paris, TALLEYRAND, FOUCHE et CLEMENT de RIS auraient créé une sorte de triumvirat pour gouverner la France. Mais quand arriva, peu après, l'annonce officielle de la victoire, TALLEYRAND et FOUCHE brûlèrent leurs papiers, précaution que CLEMENT de RIS -bêtise ou projet d'un futur chantage ?- ne prit pas. FOUCHE l'aurait fait enlever par d'anciens officiers chouans à son service afin de récupérer les documents. Rien que l'hypothèse d'un triumvirat TALLEYRAND-FOUCHE-CLEMENT de RIS paraît peu vraisemblable. A priori, BALZAC a puisé cette histoire dans les mémoires de la duchesse d'Abrantès (à la rédaction desquels il avait collaboré et que l'on surnomma "les mémoires de la duchesse d'Abracadabrantès") et dans son souvenir de cet ancien sénateur ami de feu son père, Bernard-François BALSSA[3], alors fournisseur des armées napoléoniennes.
Lors du procès, auquel ne furent cités ni CLEMENT de RIS, ni ceux qui le retrouvèrent et le libérèrent, on prétendit à une vengeance royaliste qui voulaient avoir en sa personne un otage pour garantir la vie menacée d’un de leurs chefs. Rien de tel ne fut dit lors des débats, où trois des auteurs du crime furent condamnés à mort par le tribunal d’Indre et Loire[4]. C’étaient des hommes obscurs dont l’appât du gain semblait être le seul mobile. Ils l’avaient forcé à écrire à sa femme Catherine Marie Olive CHEVREUL du MESNIL[5] pour qu’elle remit une rançon de 50000 francs dans un lieu désigné. Elle avait préparé la somme, mais n’eut pas le temps de la remettre aux ravisseurs de son mari. Madame Lacroix, propriétaire de la maison du Portail où il fut reconnu que CLEMENT de RIS avait été détenu, fut condamnée à plusieurs années de détention et à l’exposition sur l’échafaud au moment de l’exécution des soi disant kidnappeurs. Aujourd’hui encore, le mystère demeure sur cette ténébreuse affaire[6].


Dominique CLEMENT de RIS ne cessa de jouir d’une grande faveur sous le gouvernement impérial ; il obtient en 1804 le titre de grand officier de la Légion d’Honneur
En novembre 1805, il fit partie de la commission chargée de faire un rapport sur la proposition d’envoyer une députation à l’empereur pour le féliciter de ses victoires.
Devenu questeur du sénat, il s’occupa des embellissements du Luxembourg et de la reconstruction de l’Odéon incendié. Membre de l’entourage de madame Mère et de Joséphine, il fut fait comte de Mauny en 1810, ce qui ne l’empêchera pas de donner son adhésion à la déchéance de Bonaparte en 1814.
Créé pair par le roi le 4 juin 1814, il le sera aussi par Bonaparte en 1815, mais il ne prendra la parole dans la chambre, dont il faisait alors partie, que pour faire augmenter le nombre des membres d’une commission extraordinaire devenue incomplète par l’absence du maréchal Davoust.
Cette girouette cessa d’être portée sur la liste des pairs après le second retour du roi, mais elle y fut rétablie, à sa demande, dans la grande fournée du 21 novembre 1819.
Depuis cette époque CLEMENT de RIS ne se fit plus remarquer. Il mourut à Azay-sur-Cher (37), le 21 octobre 1827.
S’il n’y avait eu son enlèvement et le roman de BALZAC, CLEMENT de RIS aurait pu passer pour la médiocrité personnifiée. En y ajoutant l’inconstance qui l’a fait figurer dans le dictionnaire des girouettes, aux côtés des célèbres TALLEYRAND et FOUCHE, il était finalement le reflet d’une certaine catégorie de politiques qui n’a cessé de perdurer. Il portait « d’azur au chevron d’argent accompagné en chef de deux étoiles d’argent et en pointe d’une colombe d’argent portant en son bec un rameau d’olivier de sinople ».
La Girouette, une figure du passé…. jamais dépassée.

Didier Desnouvaux



[1] In. Dictionnaire du Consulat et de l’Empire. Fierro, Palluel-Guillard, Tulard. Robert Laffont 1995.
[2] In. Michaud. Dictionnaire de biographie universelle ancienne et moderne.
[3] Bernard-François BALSSA, né le 22 juillet 1746 à Montirat La Nougayrié (81190), décédé le 19 juin 1829, à Paris (à l'âge de 82 ans), Fournisseur des armées napoléoniennes. Marié le 30 juin 1797 avec
Anne SALLAMBIER, née le 22 octobre 1778, à Paris, décédée le 1er août 1854. Dont:
Honoré DE BALZAC, né le 20 mai 1799, à Tours (37000), décédé le 18 août 1850, à Paris
[4] D’autres croupissaient au fonds des cachots comme Louis BOURMONT, compte de Ghaisnes, Maréchal de France, officier aux gardes françaises que FOUCHE fait arrêter comme suspect dans l'affaire de la séquestration du sénateur Clément de RIS. Il fut incarcéré à BESANCON d'ou il s'évadera en 1804.
[5] Qu’il avait épousée le 9 février 1777 à Tréguier. In ADHM 22J3 notice du Baron de l’Horme.
[6] BALZAC aurait eu, à l’époque au début de la rédaction, l’intention de composer pour la Comédie Humaine l’itinéraire politique d’un député de campagne. Ce projet qui devait donner Le député d’Arcis (inachevé) réclamait le développement d’une toile de fond : ce fut Une ténébreuse affaire, qui se déroule dans la même région quelques 40 ans avant le député d’Arcis. Cette idée lui vient entre 1839 et 1840, et Une ténébreuse affaire paraît finalement en feuilleton entre le 14 janvier et le 4 mars 1841 dans un obscur journal politique et littéraire « Le Commerce, journal des progrès moraux et matériels », avant d’être publié en volumes chez Souverain en 1843.

1 commentaire:

  1. Ce qu'on appelait autrefois une girouette n'est que l'équivalent actuel d'une politique d'ouverture !

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