dimanche 17 janvier 2010

Le crime de Baissey

ou quand l'injustice s'en mêle.
 
Dans l'article publié sur la saga de la famille Jobard, Alphonse Jobard avait apprit entre 1837 et 1840 qu’un « crime avait été commis dans son village depuis son absence, et que les accusés avaient été acquittés par le tribunal de Langres », qui avait alors à sa tête le juge Bardonnaut. Dans cette période, aucun crime ne semblait avoir été commis à Baissey. C'était restreindre un peu trop la recherche. En réalité Alphonse Jobard était absent de France depuis près de vingt ans, et c'est un journal australien "The Sydney Gazette and New South Wales Advertiser" qui dans son numéro du 25 avril 1827 donne probablement la solution en page 4 sous le titre  "DREADFUL MURDER. Langres, Nov 13....A dreadful crime was committed   on the 7th June last year in the commune of Baissey, in the Arondissement of Langres..."  sur un nommé Jacob.  

Les registres d'état civil des années 1827 et 1826 de Baissey ne comportent aucun décédé du nom de Jacob en juin. Par contre en 1825, le 7 juin,  on trouve le décès de Jacob Jean Pierre. L'acte a été établi à sept heures du soir sur les déclarations de Jean Baptiste Jacob vigneron, père, et de Nicolas Gautherot, 54 ans cultivateur à Baissey, ainsi que de Pierre Cardinal, maçon 36 ans, qui ont dit que "Jean Pierre Jacob est mort au domicile de son père âgé de treize ans de la faute d'un assassinat commis sur sa personne aujourd'hui de quatre à six heures du soir" (Site des archives départementales de Haute-marne: image référencée AD52_1E0035_005_001_0017.jpg) [1]. Nous sommes donc bien en présence du même crime puisque le nom de famille et la date du décès correspondent. Voici ce qu'en dit le journal australien:
"Un crime affreux a été commis le 7 juin de l'année dernière dans la commune de Baissey, dans l'arrondissement de Langres. Ce qui suit correspond aux principaux faits exposés au cours de l'accusation : M. Jacob, un vigneron et sa femme, sont venus passer une partie de la journée avec leur fils aîné dans un champ de chanvre situé à proximité du village. Ils sont rentrés à leur domicile pour coucher leur plus jeune fils âgé de 13 ans, suite à une indisposition. A 1 heure (note: treize heures), le père est revenu pour voir comment il allait, et il est resté trois heures avec lui. Il est alors retourné à ses travaux, ayant fermé la porte derrière lui. Quand la famille est revenue à six heures du soir, ils ont trouvé la porte ouverte et la clé dans la serrure. Ils ont tout d'abord pensé que l'enfant était sorti, mais la mère, qui est entrée la première à la maison, observa que la commode avait été ouverte et son linge dispersé. Elle s'est précipitée à l'intérieur de la chambre, où la première chose qui a attiré son regard était son fils, étendu sur le plancher de l'étage, et qui baignait dans son sang. Le père est ensuite entré, attiré par ses cris : l'enfant respirait toujours ; mais une fois placé sur le lit, il a ouvert les yeux, bougé les lèvres et a ensuite expiré. Le sang qui a coulé de son corps et les fractures sur son crâne, n'ont laissé aucun doute sur la cause de sa mort. Il avait reçu six coups sur la tête avec un marteau qui avait écrasé l'os. L'instrument avec lequel il avait été assassiné a été retrouvé, près du feu dans la cuisine, couvert du sang et des cheveux. Le cou de l'enfant portait les traces d'ongles, montrant apparemment que le meurtrier avait tenu sa victime d'une main à la gorge, tandis qu'il la frappait avec l'autre. Vue l'état des meubles, il était évident que le vol avait été le motif de ce crime affreux. La justice s'était fourvoyée quelque temps dans sa recherche des criminels. Enfin, suite à certains découvertes faites sur une famille nommée Vallot, deux habitants de la commune ont été arrêtés, qui se sont ensuite trouvé être innocents. Entre-temps, la conduite singulière de la femme Vallot, de sa fille et de sa belle-fille, ont attiré l'attention des autorités. Il avait été remarqué que, dans la soirée du 7 juin, elle ne portait pas les mêmes vêtements qu'elle avait sur elle pendant le reste de la journée. Il a été remarqué, que les tresses qu'elle avait d'habitude sur ses chaussures, avait été enlevées. Il a été vu des gouttes de sang sur ses chaussures, et on a remarqué trois gouttes de sang sur son tablier, qu'elle a dit être des gouttes de vin. La belle fille du côté du conjoint a, un jour, été entendue disant, à sa belle-soeur [2], "En quoi sa mère est-elle concernée par cette affaire ?" "De quoi vous occupez vous," a répondu l'autre, "Ce qui est fait, est fait." Plusieurs autres remarques qui ont été entendues par des diverses personnes semblaient indiquer sa culpabilité. Dès que ces faits ont été connus de la Justice, la femme Vallot a été arrêtée. Pendant l'interrogatoire elle a adopté un unique système de défense. A toutes les questions qui lui étaient posées, sa réponse était invariablement, "je ne suis pas coupable. Messieurs; vous pouvez faire ce qu'il vous plaira avec moi." L'accusation a été conduite par M. Royer, l'avocat du Roi. L'avocat de la défense a employé tous ses  efforts à instiller des doutes dans l'esprit du Jury, insistant principalement sur le fait que personne n'avait vu la prisonnière entrer ou sortir de la maison de Jacob. Le Président, après avoir fait un résumé lucide et impartial, a soumis les questions suivantes au Jury: 1) "est-ce que la femme Vallot est coupable du meurtre prémédité du jeune Jacob ?" 2) "Est ce que le meurtre a été commis avec
l'intention de voler ?". La réponse a été affirmative pour la première question et négative pour la deuxième. La prisonnière a été par conséquent condamnée aux travaux forcés à perpétuité."


Contrairement à ce qui a été dit par Jobard, il n'y a pas eu d'acquittement dans cette affaire. A moins qu'il n'y ait eu un appel qui rendit un tel verdict. Alphonse Jobard se serait mit en œuvre de trouver de nouvelles preuves de la culpabilité des deux meurtriers, et aurait fait réouvrir le procès qui aboutira à la condamnation à mort des accusés.  Avons nous retrouvé le bon crime car Jobard prétend que le juge Bardonnaut était le coupable de cette erreur judiciaire, tandis que la presse australienne avance le nom de Royer. Ceci pourrait étayer la théorie de l'appel qui aurait alors acquitté la prévenue. A la limite peu importe. Jobard s'est probablement inspiré de ce crime commis dans son village pour "chansonner la justice de Langres". Cela a failli lui coûter la prison. Il ne dut son salut qu'à la fuite à l'étranger. Il faudrait retrouver sa satyre ou d'autres pièces du procès pour espérer en avoir la certitude. Une fois de plus la preuve est faite de l'intérêt de consulter la presse pour les recherches généalogiques. Certains évènements sont parfois connus à l'autre bout du monde. Mais de là à aller chercher systématiquement en Australie ….



Didier Desnouvaux
Renvois:
[1] Il n'y a pas le nom de la mère dans l'acte de décès. Mais le seul couple qui puisse correspondre est le suivant: Jean Baptiste Jacob et Marie Depetasse qui se sont mariés le 20/01/1807 à Baissey.
[2] Les Vallot inquiétés dans cette affaire étaient aussi implantés à Baissey depuis les années 1650. Ils étaient peut être apparentés avec les Jacob du côté des Depetasse. Le manque d'indication du nom des parents dans les actes ne permet pas d'en avoir la certitude.


Sources:
Archives départementales de Haute-marne: Etat civil de Baissey
http://newspapers.nla.gov.au/

vendredi 1 janvier 2010

L'adoption

Quand une affiche vient au secours du généalogiste!


Les arrêts d'adoptions rendus par la cour royale de Dijon faisaient l'objet d'un affichage dans la commune de résidence de chacune des personnes concernées. C'est ainsi qu'une affiche en date du 20 janvier 1830 concerne l’adoption par Simon DETOURBET né à Chameroy d’une enfant abandonnée prénommée Reine qu’il a élevée depuis sa naissance en 1785. Veuf de Marguerite POLIN décédée à Langres, et sans enfant, il a souhaité l’adopter. Cette affiche tirée à vingt exemplaires a été placardée à Dijon et à Langres. Elle est intéressante pour les généalogistes car, si bien souvent ceux ci reconstituent les familles, ils ont de multiples difficultés à connaître les noms des enfants confiés en nourrice ou adoptés par l'ancêtre dont ils cherchent à mieux connaître le mode de vie.

Plusieurs indications sont utiles car elles permettent de retrouver les actes relatifs à ces personnages. Tout d'abord le décès de l'épouse Marguerite Polin, morte à Langres. Effectivement les registres de la ville permettent d'en retrouver la trace: Elle est décédée le 18/09/1810 à Langres (1E269_077_01 image 263): Déclaration faite par Claude Jean Baptiste Marcellin Regnier contrôleur principal des droits réunis et Claude Mourot secrétaire de la mairie du décès de Marguerite Polin 42 ans née à Fayl Billot fille de feu Jacques Polin et de Ursule Testevuide épouse de Simon Detourbet est décédée à son domicile rue du grand Bie….
A partir de ce moment là on peut légitimement penser que Simon Detourbet est décédé à Langres, là où il résidait. L'image du site des archives départementales référencée AD52_EdepotL0221_01_0112.jpg permet de le confirmer: "L'an 1836 le 14 février …. Sont comparus Claude Jean Baptiste Marcelin Regnier 60 ancien directeur des contributions indirectes neveu du défunt et Gabriel Pistollet 60 docteur en médecine. Hier à 7 heures du soir Detourbet Simon 81 ans propriétaire né à Baissey demeurant à Langres fils de Claude Detourbet décédé bourgeois audit Baissey et de défunte Marie Anne Breul, veuf de marguerite Polin est décédé dans son domicile sis rue du grand Bie, ainsi que ….."
A partir de ce moment là les choses se compliquent. Simon Detourbet est dit né à Baissey, dans son acte de décès, alors que l'affiche l'indique comme originaire de Chameroy. Les registres de Baissey ne contiennent pas sa naissance. Il est donc bien né à Chameroy: acte AD52_Edepot8267_01-0090.jpg du 2/2/1755 à Chameroy comme indiqué sur le jugement d'adoption. On voit donc bien qu'à partir des actes de décès il était impossible de retrouver l'acte de naissance de Simon Detourbet, pas plus que son mariage avec Marguerite Polin. Pourquoi a-t-il donc été indiqué Baissey dans l'acte de décès? Tout simplement à cause de son neveu qui s'est présenté à la mairie pour faire enregistrer le décès de son oncle. En effet Claude Jean Baptiste Marcelin Regnier était le fils de Jean Baptiste Marie Regnier avocat juge de paix de Grenant et de Marie Anne Detourbet fille de Claude Detourbet maître d'école à Baissey puis marchand de vin à Langres, bourgeois en 1772 et de Marie Anne Bereul. Sauf que le maître d'école de Baissey a eu un garçon né à Grenant en 1739, une fille à Bourbonne, et … Simon à Chameroy en 1755.
Le mariage Detourbet/Polin n'a été conclu ni à Chameroy ni à Fayl Billot, lieux de naissance des époux, mais à Langres où résidaient les parents Detourbet. Le 06/07/1789 à Langres St Pierre St Paul, DETOURBET Simon 33 ans originaire de Baissey fils de Detourbet Claude bourgeois, et de BREUL Marie Anne s'est marié avec  POLIN Marguerite 22 ans de Fayl Billot fille de Polin Jacques contrôleur des fermes du roi et de + TETEVUIDE Ursule. Là encore, rien dans les actes de naissance ni de décès ne permettait de trouver le lieu de mariage. Il fallait s'intéresser au neveu pour trouver ce qu'étaient devenus les parents de Simon Detourbet. Remarquons également qu'on le dit originaire de Baissey alors qu'il est bien né à Chameroy.

L'arrêt d'adoption ne permet toutefois pas de lever toutes les interrogations. Grâce à celui ci il a été possible de retrouver la trace de la fille adoptive prénommé Reine puisqu'il indiquait sa date de naissance de père et mère inconnus: Elle naquit le 11/1/1785 à Langres Saint Pierre Saint Paul (E dépôt 143 image 6) et, fait assez rare pour être souligné, il a été indiqué en marge de l'acte l'adoption dont elle a été l'objet. Cependant, malgré de multiples recherches restées infructueuses, il n'a pas été possible de savoir ce qu'elle est devenue après le décès de son père adoptif, ni quand elle est décédée, ni si elle avait pris son patronyme. 

Didier DESNOUVAUX

Sources:
Archives départementales de Haute-Marne: Registres d'état civil des communes concernées.