lundi 22 juin 2009

Déchanet Denis dit Desessarts

Un altruiste épicurien

" Ma foi sur l’avenir bien fou qui se fiera:

Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera.

Un juge, l’an passé, me prit à son service;

Il m’avait fait venir …. "

Ainsi commence l’acte I des Plaideurs de Racine. De Langres il venait ce Desessarts, comédien de renom du XVIIIème siècle dont l’immense talent était reconnu par le Roi lui même. Il avait une notoriété aussi importante que Diderot, mais elle ne dura que ce que durent les paroles, le temps de la vie de son déclamateur.

Un virtuose des planches

Denis Déchanet naîtra dans la cité épiscopale et sera baptisé le 23 novembre 1737 dans l’église Saint Pierre Saint Paul. C’était le fils de Nicolas Déchanet, chantre, musicien basse-contre à la Cathédrale, receveur du Chapitre, et de Marguerite Sauvageot veuve d’un chirurgien de la ville. Après des études au collège des Jésuites, il se tourna vers l’armée, puis quitta l’uniforme pour la magistrature où il prit la robe de procureur. Il hésita encore, et retourna vers l’état militaire. L’occasion lui fut un jour donnée d’aller à Paris, et de là au théâtre. Peut être y entendit il ces vers de Racine, lui rappelant la basoche ?

" Hé ! faut il tant tourner autour du pot ?

Ils me font dire aussi des mots longs d’une toise.

De grands mots qui tiendraient d’ici jusqu’à Pontoise.

Pour moi, je ne sais point tant faire de façon

Pour dire qu’un mâtin vient de prendre un chapon. "

C’est en tout cas à la Comédie que lui vint l’envie de jouer, et c’est ainsi qu’il s’engagea dans une troupe de province où il prit comme nom d’artiste celui de Desessarts. Sa faconde l’y fera rapidement remarquer et il sera appelé à Paris, pour remplacer Bonneval au Théatre-Français le 4 octobre 1772, où il débutera dans la pièce des financiers et des manteaux. Le 1er avril suivant il devient sociétaire de la Comédie Française et interprètera, non sans succès, de nombreux rôles tels Lisimon dans le Glorieux , Orgon dans Tartuffe, Petitjean dans les Plaideurs…. Le 19 mai 1783 il s’adresse, dans une lettre, aux maire et échevins langrois sous cette forme: " Permettez-moi d'offrir sous vos auspices à ma patrie le premier témoignage de mon dévouement et de reconnaissance qui soit en mon pouvoir. L'honneur que j'ai de contribuer aux délassements de mon Maître m'a mis a portée d'obtenir son portrait. Pourrais je faire un plus digne usage de cette faveur que de la consacrer à l'amour et au respect de mes concitoyens? J'ai mis au nombre des jours heureux de ma vie celui où j'en fus gratifié; celui où j'en apprendrai l'acceptation ne me sera pas moins délicieux ". Le portrait de Louis XVI figure t-il encore aujourd’hui dans les réserves de quelque musée haut-marnais ? La municipalité langroise l’en remercia en lui offrant une pièce de coutellerie d’art. Connaissait elle alors son autre passion, celle de la bonne chère ?

Un épicurien passionné

" Desessarts possédait un appétit proportionné à sa taille, mais il était gourmand ; il avait beaucoup d’esprit. Un bon appétit le mettait en verve. Il analysait avec éloquence la qualité de chaque met, et créait pour les décrire des alliances de mots d’une bizarrerie amusante. Si les convives étaient aimables et beaux mangeurs, la gaieté pantagruélique de Desessarts faisait explosion jusqu’au lyrisme." Ses réparties en aurait inspiré plus d’un, dont le célèbre Brillat-Savarin. Certains de ses aphorismes sont arrivés jusqu’à nous : " une bonne cuisine est l’engrais d’une conscience pure " ; " n’oubliez jamais que le poisson doit être attendu comme la pension d’un homme de lettres qui n’a jamais fait d’épîtres aux ministres, ni de madrigaux à leurs maîtresses. " Ou encore " que le gigot soit attendu comme le premier rendez vous d’amour, mortifié comme un menteur pris sur le fait, doré comme une jeune Allemande et sanglant comme une caraïbe. " Plus Desessarts mangeait, plus il grossissait et son embonpoint le transforma rapidement en un homme ventru. Pansu à tel point que quand, dans Tartuffe, Elmire lui dit "Approchons cette table, et vous mettez dessous. ", le brave Orgon ne le pouvant plus, les menuisiers du théâtre durent la rehausser et lui fabriquer un fauteuil adapté à sa taille démesurée. Imaginons notre bedonnant bonhomme essayant de se glisser sous la table pour y écouter Elmire qui feint de séduire Tartuffe. La scène devient alors un mélange d'humour verbal et physique, dun comique probablement irrésistible quand Elmire essaie de communiquer avec Orgon par des toux et des frappes sur la table; que Tartuffe veut embrasser Elmire, et que notre gidouillard ne fait rien…. que de rester sous la table ! Adulé dans cet emploi il l’était, mais il deviendra rapidement trop gros pour incarner les rôles moliéresques dans lesquels il sétait rendu célèbre.

Un ripailleur candide

Desessarts avait un ami, collègue depuis ses débuts : Dugazon avec qui il partageait de bons moments, mais dont il était parfois la raillerie : Ce dernier invite un jour son confrère, " à déjeuner dans un restaurant qu'il lui désigne. Desessarts était aussi gourmand que vorace. Il arrive en toute hâte; mais, ô désespoir! l'entrée du restaurant est trop étroite; il se tourmente, se retourne en tous sens; efforts inutiles et il voyait passer les mets les plus friands. Enfin, les éclats de rire de ses amis le tirèrent d'embarras en lui expliquant la situation. Le déjeuner qui s’en suivit chez un autre restaurateur n'en fut que meilleur.". Il avait certes beaucoup d’esprit et d’humour, mais cela allait parfois trop loin: Un jour, Dugazon " conduit son camarade, en grand deuil, chez le ministre, sous le prétexte d'y jouer un proverbe. " Monseigneur dit-il en entrant, la Comédie-Française touchée de la mort de l'éléphant de la ménagerie, vous prie de récompenser les services de Desessarts en lui accordant la survivance du défunt. " Desessarts, furieux, appelle Dugazon en duel : " Mon ami, dit celui-ci lorsqu'il eut mis l'épée à la main, j’ai trop d'avantage sur toi, tu me prêtes trop de surface" ; et pour égaliser la partie il trace un cercle sur le ventre de son adversaire, en ajoutant: " Tous les coups qui porteront hors du cercle ne compteront pas ". Le duel n’aura pas lieu ; et tant mieux car Dugazon était réputé comme étant un excellant escrimeur. On peut imaginer, qu’une fois encore, ils se réconcilièrent autour d’une bonne table. Ces plaisanteries de mauvais goût serviront de trame au vaudeville " le duel et le déjeuner ou les comédiens joués ", comédie écrite en 1818 et que ne connaîtront ni l’un ni l’autre des protagonistes.

Lors de la Révolution Dugazon prit part à tous les excès, notamment en se mettant au service, comme aide de camp, du général Santerre, un ancien maître brasseur du faubourg Saint-Antoine. On connaît le plan de campagne de ce dernier contre les Vendéens. A l’automne 1793, le gouvernement inclut le théâtre dans un vaste plan de régénération ; L’acteur et une partie de sa troupe seront alors arrêtés, et ce serait en l’apprenant pendant qu’il prenait les eaux à Barèges que Desessarts mourut subitement le 8 octobre 1793. Il avait pour devise : " J’aime mieux faire rire les gens que de les ruiner."

Didier DESNOUVAUX



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