vendredi 1 octobre 2010

Maurice Constantin-Weyer

Quelques aspects peu connus de sa vie

Maurice Constantin-Weyer naît à Bourbonne les Bains le 24 avril 1881. C'est le fils du rédacteur en chef du journal l’Avenir de La Haute Marne, Alphonse Constantin. Quelques années après le décès de son père, en 1903, il part au Canada où il se fait trappeur, cow boy, et journaliste. Le 2 août 1914, il reprend le bateau pour la France et termine comme lieutenant en 1914 avec...53 blessures. Il rentre en France et se consacre au journalisme. Directeur de Paris-Centre, il publie des romans dès 1922. Ceux ci sont largement inspirés de ses dix années passées dans le grand nord. Il publie Manitoba (1924); La bourasque (1925); Cinq éclats de silex; Vers l’Ouest; Telle était de son vivant; Autour de l’épopée canadienne; Le bar de San Miguel; Le Canada ou l’invitation au voyage; Cavelier de la Salle; Champlain; Clairière; La Vérendrye;... Il reçoit le prix Goncourt en 1928 pour Un homme se penche sur son passé.

Quand les mots tuent ….
En juin 1936, le Front populaire de Léon Blum fait face à de très dures grèves qui paralysent l’économie du pays. Un seul homme réussira à remettre la France au travail : Roger Salengro, ministre de l’intérieur de Léon Blum et principal artisan des accords de Matignon.
Salengro milite très jeune parmi les partisans de Jules Guesde, l’introducteur du marxisme en France. Antimilitariste, il est fiché au « carnet B » et par conséquent détenu pendant plusieurs semaines en août 1914. Quand il est admis à porter les armes, son régiment est replié sur Cognac, mais Roger Salengro demande à partir au front et sa requête est acceptée. Évacué comme malade au printemps 1915, il obtient de revenir en première ligne. Le 7 octobre 1915, parti chercher le corps d’un combattant, il est capturé par les Allemands. Interné en Bavière, il incite ses camarades à refuser le travail forcé, ce qui lui vaut treize mois de camp disciplinaire. Sa santé s’altère d’autant plus qu’il est atteint de dépression nerveuse. Il est dirigé vers la Suisse dans un convoi de rapatriés sanitaires. Quand il revient à Lille, Roger Salengro ne pèse plus que quarante-deux kilos.
Côté français, la suspicion à l’encontre des socialistes, qui avaient combattu la « loi de trois ans » avec Jaurès, fait qu’un conseil de guerre a examiné son dossier : en janvier 1916 cependant, le soupçon de désertion est écarté et le soldat Salengro, acquitté. Cette affaire sera néanmoins exploitée par les adversaires de Roger Salengro, et d’abord par les communistes.
En 1936, il est nommé ministre de l’Intérieur. En signant les accords de Matignon, Salengro est l'homme des congés payés, de la semaine de quarante heures et des salaires minimaux pour les travailleurs. Le patronat et la droite ne lui pardonneront jamais ces acquis sociaux vraiment révolutionnaires pour l'époque. Ils montent contre lui une campagne de calomnies d'une extrême violence en l'accusant du pire crime qu'on ait pu commettre en ces années-là : avoir déserté pendant la guerre de 14. C'est un mensonge avéré. Mais, calomniez, il en restera toujours quelque chose. Bientôt s’ensuit une campagne de presse d’une grande violence, menée par L’Action française et Gringoire. Une commission, présidée par le général Gamelin, innocente Roger Salengro. Truquant des témoignages, déformant des propos officiels, L’Action française et Gringoire ne tiendront aucun compte des démentis juridiques et judiciaires officiels, préférant s'appuyer sur l'opinion publique qu'ils ont braquée contre Salengro. Le 13 novembre 1936, interpellé par l’opposition, Léon Blum défend son ministre, obtenant la confiance de 427 députés. « Vous savez que la campagne menée contre Roger Salengro au nom de l’honneur militaire et du patriotisme repose sur l’altération de la vérité », déclare clairement le Président du Conseil. Mais la campagne de presse se poursuit, Gringoire voulant voir dans le rapatriement sanitaire de Roger Salengro une marque de bienveillance allemande. Éprouvé par la mort de sa femme et la maladie de sa mère, le ministre met fin à ses jours dans la nuit du 17 au 18 novembre. La lettre qu’il écrit à Léon Blum est publiée en une du Populaire qui fustige le « fascisme assassin ». À Lille, sont organisées le 22 novembre des obsèques nationales qui rassemblent un million de personnes.
Salengro ayant été coursier à vélo pendant la guerre, ses adversaires le caricaturent à l'envi sous l'aspect d'un cycliste. Il est surnommé « le rétro-pédaleur », et les « accusations » implicites d'homosexualité se veulent blessantes. On dépose même sur la tombe de sa défunte femme Léonie morte l'année précédente, en guise de couronne mortuaire, une roue de vélo. Maurice Constantin-Weyer fait partie de ses détracteurs. On lui doit l'article suivant:
"L’affaire Salengro, ou les vacances de la légalité.
Avant que la loi sur la presse projetée par le juif Blum ait enlevé aux Français la dernière liberté qu’il leur reste, celle de clouer les coquins au pilori, examinons une fois de plus le cas du cycliste Salengro.
L’un des arguments de Salengro est celui ci : il aurait été, dit il, acquitté par contumace par le conseil de guerre. Il ajoute d’ailleurs, avec quelque vanité, que son cas est unique. S’il avait été acquitté par contumace, son cas serait en effet unique. Car la procédure en usage devant les conseils de guerre ne permettaient pas un acquittement par contumace.
Dans le cas de contumace, en effet, la procédure se déroulait de la façon suivante :
1° le chef de corps commettait un officier de police judiciaire pour mener l’enquête. Le plus souvent cet officier de police judiciaire était le commandant de compagnie de l’intéressé.
2° cet officier de police judiciaire citait directement les témoins, établissait son rapport et le transmettait au commissaire rapporteur.
3° le conseil de guerre prenait connaissance du rapport. Le contumace n’étant pas représenté, la condamnation était automatique.
Il est donc impossible que Salengro ait été acquitté par contumace. Ce qui eut été possible, c’est qu’après enquête, l’officier de police judiciaire eut conclu à un non-lieu. En ce cas, aucune action n’eut été réouverte au retour de Salengro.
Le général Gamelin, - qui a fait au surplus de sérieuses réserves quant au rôle qu’on lui a fait jouer – n’a eu sous les yeux que le second jugement, celui qui a suivi la purge de contumace du cycliste Salengro. Le rapport du généralissime ne mentionne pas qu’il ait eu connaissance du premier jugement.
J’ignore quelles pièces le général Gamelin a eu sous les yeux. Je me permets simplement de m’étonner qu’on ne nous ait pas fourni un extrait des pièces suivantes :
a) journal de marche du régiment.
b) Journal de marche de la division.
c) Extrait des archives et du cahier d’enregistrement du conseil de guerre de la division.
Si tout le monde a fait son devoir, et si le grattage des documents n’est pas d’un usage généralisé en France, ces trois pièces doivent porter les traces de la désertion du cycliste Salengro.
J’ajoute que le choix des assistants du général Gamelin est pour le moins bizarre. De M. Pichat, je ne dirai rien, sinon que les passions politiques l’aveuglent aisément. Mais le choix de M. de Barral, compromis et comment ! dans l’affaire de la France mutualiste est un défi au bon sens. On voit bien qu’Israël est roi !
Le général Gamelin aurait du essayer d’être assisté de deux anciens commissaires rapporteurs devant des conseils de guerre. On peut être général en chef, capable de mener la plus importante des armées en campagne et ne rien connaître à la procédure. Cette assistance ne l’eut pas diminué. Elle lui eut permis de dépister plus sûrement le véritable dossier de Salengro. J’ajoute que toutes les associations d’anciens combattants, sans exception, auraient dû être représentées. Les deux plus importantes d’entre elles par le nombre : l’U.N.C et l’U.F. auraient eu chacune la charge de choisir l’un des commissaires rapporteurs.
Mais le choix d’une telle commission aurait eu une apparence de légalité. Et le juif Blum nous avait depuis longtemps averti qu’il mettrait la légalité en vacances.
Très bien ! Nous aurons moins de scrupules à en faire de même un jour prochain, très prochain."
Ce manuscrit fut adressé à Roger Joseph, secrétaire de Maurras, bien connu pour son antisémitisme. Maurice Constantin Weyer est alors clairement antisémite, tout comme une grosse partie de la population de l'époque. Il publie notamment depuis 1931 dans Gringoire, journal d'opinion, faisant feu de tout bois. Cet article a-t-il été publié ? Constantin-Weyer a-t-il été pris de remords ou de regrets? Quelques années après, il renoncera provisoirement à écrire et échangera alors sa plume contre un pinceau.

La peinture adoucit les moeurs
Jacques Villon, dessinateur humoristique bien connu pour son humour acidulé et comique que l’on appréciait dans les journaux de la belle époque tels l’Assiette au Beurre ou le Courrier du Rire, vivait à Montmartre comme tous les artistes du début du XXème siècle, et il appréciait beaucoup les individus en marge de la société et les accueillait volontiers dans son atelier pour la nuit. Parmi eux, Maurice Constantin Weyer faisait office d’habitué puis qu’il était surnommé « le cousin » par son hôte. C’était en effet un individu d’une toute autre espèce, « un clochard de fantaisie ». Un « gros garçon intelligent et placide qui observait les gens sans rien dire. Demeurant chez ses parents, il ne se souciait pas de travailler pour gagner sa vie. Il lisait appréciait les arts et ne faisait rien. Chaque soir après avoir confortablement dîné en famille, il sortait, allumait un cigare et gagnait à petits pas, comme en flânant l’atelier de Villon » . C’est ainsi qu’il traversait tout Paris pour aller coucher à Montmartre sur une litière de vieux journaux alors qu’une chambre cossue et confortable était à sa disposition. Il aimait simplement l’atmosphère qui régnait dans les ateliers d’artistes. Un jour ? Interrompant ses études à la Sorbonne, il disparaîtra sans en donner la raison, pour finalement ne revenir que vingt cinq ans plus tard avec son plus beau récit : « un homme se penche sur son passé » qui lui valu le prix Goncourt. Il avait répondu à l’appel des région sauvages du grand nord américain et s'en inspira aussi dans ses compositions artistiques.
La peinture pour Maurice Constantin-Weyer était avant tout un délassement, il ne s'est jamais pris au sérieux, mais il aimait peindre et dessiner. Jamais il ne s'est mis devant un paysage, tout venait de sa mémoire qui était, il faut bien le dire assez sensationnelle. D'ailleurs, il l'a expliqué lui-même : "Pourquoi je Peins ? J'eusse pu comme beaucoup d'autres prier l'un de mes confrères des lettres de présenter mon exposition. Cet ami n'eut pas manqué de me décerner des éloges. Le Public éclairé, étant d'ordinaire indifférent à cette sorte de publicité me saura probablement gré de m'abstenir. Il aura peut-être, cependant la curiosité de savoir pourquoi je peins. C'est bien simple.D'abord parce que la peinture est chez moi, l'une de mes nombreuses vocations que l'on a contrarié et que j'adore peindre.Ensuite parce que j'ai l'habitude de fixer par le dessin., l'aquarelle ou l'huile, les souvenirs que j'utilise plus tard comme romancier.
Enfin, parce que pendant quatre années d'occupation, ne voulant rien publier sous la botte, la peinture s'est offerte à moi comme moyen d'évasion."
Est ce la campagne haut-marnaise qui est évoquée dans cette aquarelle évoquant un sous bois?
Il s'est aussi essayé à la peinture sur divers supports, et certaines de ces oeuvres littéraires reprennent des paysages qu'il s'est amusé à coucher sur toile ou sur papier, telle cette description de la Norvège: " Ici, en plein baie, les eaux étaient vert jade, vert émeraude, vert véronèse, vert canard. Le reflet même des montagnes s'y tissait en vert plus sombre, sans oser tacher l'eau d'une couleur qui ne fût pas verte. Seuls, les glaçons étaient bleus, comme les fronts de glaciers ". (In: La nuit de Magdalena, Librairie des Champs-Elysées, Paris, 1938, p. 33). Nous pouvons la comparer à cette huile sur isorel donné au musée de Cusset en 2005 par sa fille Françoise et signée de ses initiales , ou à cette aquarelle représentant probablement le même port norvégien dont on dit qu'il est situé à la pointe septentrionale du monde:  Hammerfest.

Dans la famille Constantin, nous pourrions aussi citer sa soeur Marguerite Constantin-Fortin, totalement oubliée des ouvrages sur les écrivains haut-marnais. En effet, née à Langres le 12 février 1889, accompagnée de sa mère, elle rejoindra Maurice Constantin-Weyer à Saint-Claude dans le Manitoba en 1905. Elle y épouse Raoul de Villario, un ami de son frère, puis en secondes noces Héliodore Fortin. Elle rentre en France après la première guerre mondiale et se met à écrire ses souvenirs du Canada. Ceux ci seront publiés en 1940 sous le titre "Une femme se penche sur son passé" en clin d'oeil à l'ouvrage qui a valu le prix Goncourt à son frère. L'année suivante paraît un deuxième livre intitulé "Le sang français" qu'elle avait co-écrit avec sa mère Amélie Constantin-Bompard. Cette dernière, née à Bourbonne les Bains le 11 février 1858, avait déjà écrit un premier livre sur le Canada en 1934: "Au pays des érables". La mère et la fille, toutes deux écrivaines, décèderont à Nice le même jour: le 6 mai 1958.  Maurice Constantin-Weyer installé à Vichy depuis plusieurs décennies s'y éteindra le 22 octobre 1964.

Sources:  
Site internet de la Bibliothèque Nationale de France
Gamila Morcos: Dictionnaire des artistes et des auteurs francophones de l'ouest canadien. presses de l'Université de Laval 1998. 
Catalogue d'exposition du salon du livre ancien de Souvigny de 2007
Musée de Cusset (Allier)
Archives privées