dimanche 3 juin 2012

Victimes de leurs idées

Les exilés politiques



Le 21 mai 1852, la liste des transportés en Algérie comprend les individus suivants:
Neef Auguste, berger, 26 ans, sans fortune, célibataire né à Neufchateau (88),
Oudot Louis, tonnelier, 22 ans, sans fortune, célibataire, né à Lafauche,
Tous deux protagonistes de la société secrète du canton de Saint Blin avec Paul Vorin.
Ainsi que 
Rollet Pierre Joseph, journalier sans fortune, âgé de 43 ans, marié un enfant dont nous avons raconté la destinée dans l'ouvrage Keskidees émigrés bassignots et comtois aux Etats Unis de 1830 à 1870 puisqu'une fois libéré il émigrera outre-atlantique. Nous y avons exposé quelques raisons politiques qui conduisaient les sympathisants socialistes à partir. En voici un autre exemple.

Les dossiers conservés aux archives départementales nous permettent de connaître les raisons qui ont valu à quelques personnes du canton de Saint-Blin de se faire expulser du territoire national.
"Paul Voirin, Oudot, Neef, Monsel, Sibillote, Vouillaume, Morel, Bourlier, Thiebault père, Thiebaut fils, Bourlier J.B.inculpés de formation et d'affiliation à une société secrète, organisée dans le canton de Saint-Blin.
Faits: dans la première quinzaine de février 1851, une société secrète, fut organisée dans le canton de St Blin, par les soins du sieur Paul Voirin et Neef Auguste. Un dimanche, de cette première quinzaine, une première réunions eut lieu, dans une maison isolée, appelée le moulin à vent de Semilly. Cette réunion avait été provoquée par Voirin Paul. Le but de la société était d'organiser une propagande démagogique par le moyen des livres et écrits périodiques, de lutter contre le gouverrnement et de travailler au triomphe des rouges (souligné dans le document). Ce but et les moyens à employer, furent exposés par Voirin Paul et Neef Auguste. Il faut ensuite recommandé à chacun d'amener le plus d'adhérents qu'il pourrait et de garder le plus grand secret. Quelque temps après cette réunion, un projet de règlement et d'organisation, écrit, fut présenté par Neef, à des témoins, ayant assisté à la première réunion, pour qu'ils se signalent comme membres de la société, ce qu'ils refuseraient. Ces faits sont rapportés, d'une manière irrécusable, par différents témoins, dont la déposition doit être d'autant moins suspectée, quils ont fait partie de cette société naissante.
Voirin Paul, 29 ans, demeurnat à Prez sous Lafauche (Hte-Marne). Il a les plus mauvaises tendances et de l'influence dans le canton. Il a été le promoteur et l'organisateur de la société dont nous venons de parler. Craignant les suites de sa conduite, il a pris la fuite et le mandat d'amener n'a pu être exécuté.
La commission décide, le sieur Voirin Paul, sera expulsé du territoire français.

Oudot scieur de long, 22 ans. A fait partie de la société secrète du canton de St Blin. 
Antécédants. Fils d'un forçat libéré: capable des plus grands excès Soupçonné de plusieurs vols, ayant mission de raccoler des affidés à la société secrète. Les renseignements les plus précis s'accordent à le faire considérer comme un homme des plus dangereux. Il a pris la fuite, mais arrêté à Meaux, en état de vagabondage, il est à la disposition de la commission.
La commission décide. Oudot de Lafauche sera transporté en Algérie, classe plus.

Neef Auguste, 26 ans, né à Neufchateau (Vosges) demeurant à Semilly (Haute-Marne) il a été avec Voirin Paul, l'un des organisateurs de la société secrète du canton de St Blin et a fait des recrues pour cette société. C'est lui qui présenta à un témoin, et pour le liguer, un projet écrit de société et d'organisation propagandiste. Neef fut éxpulsé comme étranger; mais le gouvernement bavarois ayant refusé de l'admettre sur son territorie, Neef, détenu à Strasbourg, est à la disposition de la commission.
La commission décide le sieur Neef Auguste, sera transporté en Algérie, classe plus.

Bourlier Alexandre, de semilly, 34 ans, charron mécanicien,
Monsel Adrie, de Semilly, cultivateur,
Sibillote Claude Simon, maçon 37 ans,
Vouillaume Augustin, maçon 22 ans,
Morel Nicolas, maçon, 23 ans,
Thiebaut père, Louis,
Thiebaut fils, Jean Baptiste,
Bourlier Jean Baptiste, de Prez sous Lafauche, ciselier 35 ans,
Tous les huit prévenus d'avoir fait partie d'une réunion non publique et dont le but était politique et d'avoir fait partie d'une société secrète. Ce sont pour la plus part des jeunes gens, sans importance, et sans influence aucune, qui ont été conduits à cette réunion par les meneurs. Ce sont eux qui ont donné à la justice tous les renseignements qu'elle a eu sur cette affaire.
La commission décide les huit prévenus ci dessus dénommés seront mis en liberté."
La justice décide de faire arrêter Paul Voirin et de l'extrader. Le rapport de gendarmerie du 18 mars 1852 raconte, document à l'appui le départ de Paul Voirin pour les Etats Unis.
"Vu l'arrêté de Monsieur le Préfet de la haute Marne en date du quatorze courant faisant connaître à l'art. Premier que le sieur Voirin Paul de Prez sous Ladauche sera expulsé de France à toujours. 
Cet arrêté a nous transmis par nos chefs pour être notifié, je me suis alors rendu à la ferme de Sylvamesnil ou habite la famille Vorin. Là j'ai trouvé le sieur Voirin père, auquel j'ai demandé où était son fils Paul, pour lui notifier un arrêté de monsieur le préfet d'après la commission du gouvernement du neuf de ce mois qui statue sur le sort des individus inculpés de délits politiques. Il n'a répondu que son fils qui faisait l'objet de ma démarche devait être dans ce moment en amérique près d'un de ses frères qu'il avait reçu une lettre de lui datée du Havre le trois du courant qui annonce que dans une heure il sera embarqué, et il m'a remis cette lettre pour justifier ses dires..."

"Dans une heure je serai embarqué, je n'ai que le temps de vous le dire. Je prie papa de me justifier, si par hasard notre infâme délateur de profession était parvenu à souiller des recherches de la police, notre demeure.
J'ai déjà vu la mer.
Je suis plein de confiance en Dieu et je vous embrasse tous.
Paul Voirin
Havre 3 février 1852"

Nous n'avons pas retrouvé la trace de Paul Voirin aux Etats Unis, si tant est qu'il y soit arrivé vivant. Sa famille ne semble pas avoir eu d'autres nouvelles que cette dernière lettre. La loi du 30 janvier 1881 a accordé une pension aux victimes du coup d'état de 1851, une preuve de plus que toutes les idées politiques sont respectables et finissent par connaître leur heure de gloire. Le père de Paul Voirin ayant été démis de ses fonctions, à ce moment là, en a été un des bénéficiaires, tout comme ses deux autres fils victimes de leurs idées socialistes. Si Paul Voirin était resté en France, nul doute qu'il aurait été réhabilité et aurait perçu cette pension. 


Sources:Archvies départementales de Haute-Marne 61M32; 91M1

mercredi 23 mai 2012

Quelques haut-marnais en Algérie

Absents des registres de passeports.


Sur le blog consacré à l'histoire du département, nous avons fait l'étude des passeports à destination de l'Algérie. Comme indiqué dans la conclusion, ceux ci sont incomplets. Voici quelques haut-marnais retrouvés outre-méditerranée:


* Jean-Baptiste MARTINOTY, qui naît le  05/03/1825 à Poinson-les-Fayl fils de Simon Martinoty (cultivateur à Poinson-les-Fayl) et de Magdeleine Ruotte (tous deux décédés après 1864. Jean Baptiste épouse le 24/09/1864 à Aïn Sultan Rose ROBERT. née le 06/01/1829 à Rombrot, Il exerce la profession de cultivateur au moment de son mariage, puis il sera garde champêtre à Aïn Sultan.
* Charles Victor AGERON, naît le 20/06/1843 à Anrosey et meurt le 28/01/1904.  Bône, employé (en 1869), chauffeur, mécanicien, il demeurait rue de l'Artillerie à Bône avec sa femme Françoise KUNTZ épousée le 21/08/1869 à Bône.
* Claude Ageron né le 14/08/1830 à Anrosey est décédé le 15/07/1892 à Bône à l'âge de 61 ans. Il y était cantonnier en 1863, journalier (1873), puis est devenu liégeur (1875) à Bugeaud, et enfin manouvrier à Aïn-Mokra, arrondissement de Bône en1888. C’était le frère du précédent donc tous deux fils de Charles François Ageron (1802-1867) et de Marie Chappuy (1805-1854), leurs parents décédés en Haute-Marne.

Martinoty et Ageron ne sont pas des patronymes enregistrés dans les registres de passeports et Poinson les Fayl n’a pas été recensé comme lieu d’origine de migrants haut-marnais. Une fois de plus il est constaté que le sud haut-marnais fournit des migrants. Les raisons à cette émigration sont les mêmes que celles que nous avons relatées dans notre livre: Keskidees, émigrés bassignots et comtois aux Etats-Unis de 1830 à 1870; seule la destination diffère.
En avez vous trouvé d'autres, qui ne soient pas militaires?




dimanche 19 février 2012

L'empereur de Chine Le retour...

... ou, la vie chaumontaise de Nicolas Paris.

    En novembre 2011 j'ai raconté comment Nicolas Paris qui se prenait pour le futur empereur de l'Empire Céleste fut arrêté dans sa conquête du pays et mis sur un navire en partance pour Chaumont (voir sur ce site). De retour dans la cité préfecture, sa notoriété dépassa alors largement celle de la rue Laloy. Toute la bonne société chaumontaise connaîtra celui qui se faisait appeler l'Empereur de Chine puisqu'il mourra dans sa ville natale en janvier 1916.
    Suite à son retour il continua à vivre dans sa maison rue Laloy tout d'abord avec sa mère puis en indivision avec sa sœur. Il exerçait la modeste profession de chiffonnier. Mais l'Empereur ne daignait pas payer sa contribution foncière. Comment osait-on lui réclamer un quelconque impôt pour un modeste palais que la gendarmerie ne protégeait même pas puisqu'il se passait rarement un mois sans qu'il doive faire une déposition pour vol, étant sans cesse pillé! Citons pèle mêle: l'annuaire général de l'épicerie, un itinéraire du nord-est de la France, des cartes, des moulins à café, des chiffons, des boites en fer blanc… Arrêtons là cet inventaire à la Prévert fruit d'un esprit tourmenté. L'administration fiscale, voulant recouvrir l'impôt foncier, ne l'entendit  pas ainsi puisqu'elle finit par saisir ses biens, et l'expulsa pour mettre en vente la maison. Que dis je?  Le palais impérial. Et comme la vente rapporta plus que la dette, l'administration, dans sa haute bienveillance, voulu donner le reliquat à Nicolas Paris qui le refusa tout net. Comment, lui l'Empereur de Chine pouvait-il accepter l'argent de la spoliation et se laisser ainsi corrompre par des gens bien peu reconnaissants eu égard à sa haute fonction ! L'argent resta en dépôt à la Caisse des Consignations jusqu'à sa mort. Nicolas Paris chercha autour de Chaumont un territoire à sa mesure, vaste, et sur lequel il pourrait entreposer le fruit de ses fouilles. 
Il le trouva bientôt au dessus de Brottes. Des caisses se transformèrent bientôt en trône, et le lieu en un fort de planches, de ferrailles de ronces et de détritus, d'un bon mètre de haut, destinés à protéger son royaume imaginaire.  Si la cloche était son état, la mendicité l'aurait rabaissé. A tel point que lorsqu'il trouvait une piécette dans les rues chaumontaises il allait la rapporter au commissariat. Eh non, l'Empereur ne demande pas la charité ! Comme il n'acceptait pas ce qu'on lui offrait. Tout juste disait-il à son généreux donateur de mettre l'objet dans la poubelle, afin qu'il puisse juger au moment de sa tournée de ramassage s'il devait le prendre ou non.
    Ainsi vécut et finit Nicolas Paris, dont le patronyme avait été oublié au profit de son "titre" d'Empereur de Chine. Les légendes coururent à son sujet: il aurait travaillé à la librairie Hachette avant de faire le voyage de sa vie. Il se serait engagé dans la Légion étrangère. Il aurait été emprisonné dans le pays de l'Empire Céleste…. Rien de tout cela comme nous l'avons vu. 
"Un souverain instruit dans la voie du Tao renonce à conquérir le monde par la force. Car il sait qu'à l'attaque succède la riposte. Là où sont passées les armées ne restent que des ruines et ne poussent que des ronces. Les grandes guerres amènent des années de disette. C'est pourquoi l'homme éclairé se montre résolu sans tomber dans l'excès."  Lao Tseu

Sources: Robert Colin. Garance et bleu horizon. 

jeudi 5 janvier 2012

Un sénateur injustement méconnu

Jean-Baptiste Fernand Danelle-Bernardin

Jean-Baptiste Fernand Danelle dit Danelle-Bernardin est né le 16 septembre 1826 à Montreuil sur Blaise au sein du foyer d'Elisabeth Adrien et de Fidéle-Constant-Joseph Danelle, originaire d'Arras. Dans sa branche maternelle, son grand-père Jean-Baptiste Adrien a fait fortune dans les affaires. Il est l'exemple de « ces hommes qui ont acheté tous les châteaux des ci-devant seigneurs ... » qui « de simples commis de forges qu'ils étaient sont devenus en moins de dix-huit mois les maîtres, les régulateurs de tous les commerces». Jean-Baptiste Fernand Danelle aura pour précepteur Victor Duruy, futur Ministre de l'Instruction Publique de 1863 à 1869, avant qu'il ne suive des études secondaires à Paris qui seront sanctionnées par une licence en Droit. Il rejoindra alors le monde des affaires en dirigeant les installations du Buisson à Louvemont. En1861 il constitue avec ses frères, Alfred Nicolas Albert Danelle et Marie-Paul Danelle une société en nom collectif pour l'exploitation en commun des forges du Buisson et du Chatellier, sous le nom de Danelle frères. Mais l’association ne dure pas et la société est dissoute en 1868.

Le 9 mai 1853 il épouse Alexandrine Charlotte Rosalie Bernardin.

Danelle Bernardin sera élu Maire de Louvemont, en 1859, à l'âge de 29 ans, il deviendra conseiller d'arrondissement en 1855 puis conseiller général de Wassy, en 1871, et ce jusqu'en 1889, avant de devenir membre de l'Assemblée Nationale, en 1876. Sa candidature fut, paraît-il, encouragée par Gambetta dont il avait l'amitié. Inscrit dans le camp des Radicaux il défendit avec vigueur la troisième république qu’il avait votée. Fidèle à la gauche, Jean Baptiste Danelle Bernardin était favorable à l’instauration de « l'impôt proportionnel sur le revenu, la protection de l'agriculture et de l'industrie française», rappelant ainsi les grands thèmes de la doctrine radicale, s'opposant ainsi à ses adversaires du département : du Breuil de Saint Germain, Leroy-Beaulieu et Bourlon de Rouvre.

En 1887, il choisit de briguer un fauteuil au Sénat, en remplacement du banquier failli Donnot qui avait du démissionner (voir l'article qui lui est consacré sur ce blog). Il y réussit en étant élu au premier tour de scrutin avec 422 voix. Il est réélu en janvier 1888 avec 511 voix, améliorant au passage son score. Réélu, en janvier 1906,« Cette élection fut à la fois un succès électoral, d'estime, de confiance, de sympathie et de reconnaissance, pour les innombrables services rendus, et la récompense de l'attitude indépendante dont il avait fait preuve en votant contre la loi de séparation des églises et de l'Etat. » (Petit Champenois du 25 février 1916 Notice nécrologique)

La presse annonce son décès le 21 février 1916. Il était Chevalier de la Légion d 'Honneur et l’importance du cortège qui assista à ses obsèques fut ainsi la reconnaissance bien méritée de son action qui fait désormais partie de l’histoire politique de notre département.