mercredi 1 décembre 2010

Nicolas Médard Audinot

L'amant cocufié  (Comédie incomplète en 7 actes)


Beaucoup de généalogistes connaissent la prestigieuse carrière Nicolas Médard AUDINOT, né le 8 juin 1732 à Bourmont, comédien créateur du théâtre pour enfants [1]. Par contre sa vie privée reste bien obscure, ne serait ce qu’en raison des nombreuses aventures qu’on lui prête. Levons le rideau sur celles-ci.

Acte 1: la femme adultère et son prétendant
En 1755, alors qu’il était musicien concertiste pour la ville de Nancy, AUDINOT «s’amouracha de Françoise CAILLOUX, femme d’un sieur de LAPRAIRIE, architecte dans cette ville [2] ». Cette dernière, dite CATEAU, née à Nancy le 29 juin 1725 y avait épousé Richard CALAME dit LA PRAIRIE le 29 avril 1744 et lui avait donné trois enfants [3]. En 1756, elle abandonne mari et progéniture pour s’enfuir à Paris, bientôt rejointe par Nicolas Médard AUDINOT. Sur les recommandations de son frère, maître perruquier, celui ci entre dans la musique du duc de GRAMONT et s’installe avec sa compagne.
Acte 2: le règne de l’illégitimité
Deux enfants viendront rapidement au monde :
Marie Françoise AUDINOT née le 7 octobre 1756 à l'Hôtel-Dieu à Paris, décédée le 18 octobre 1756.
Cécile AUDINOT née le 12 décembre 1757 à Versailles [4], décédée le 17 juin suivant.
L’argent manquant dans le couple -illégitime- mais qui se présentait comme tel, Nicolas Médard AUDINOT abandonne à son tour femme et enfant pour partir au Havre, rapidement rejoint par sa compagne et leur fille. En 1759, ils reviennent rabibochés à Paris. Quelque temps après AUDINOT ouvre un théâtre à Versailles, puis un spectacle de marionnettes à la foire Saint Germain. Celles ci sont rapidement remplacées par de jeunes enfants qui y jouent les pièces de théâtre.
Acte 3: la maîtresse délaissée
En 1769, AUDINOT rompt de celle qu’il présentait partout comme sa femme. Entre temps était née une troisième fille qui travaillait avec son père : Josèphe Eulalie AUDINOT née le 19 mars 1759. Elle fut baptisée le lendemain à Paris Saint Sulpice: «Le 20 mars 1759,a été baptisé Josèphe Eulalie née d'hier, fille de Nicolas AUDINOT, musicien, et de Françoise DUBOIS, son épouse, demeurant rue des boucheries». Pour cacher leur union illégitime, Françoise CAILLOUX avait pris un nom d'emprunt, et en quittant AUDINOT, elle reprend celui de LA PRAIRIE surnom de son ex mari décédé depuis le 8 octobre 1762 à Nancy, part avec sa fille et la place au couvent des Dames de Saint Michel.
Pourquoi cette rupture survint-elle au bout de douze ans de vie commune ? Aucune réponse ne peut être apportée avec certitude, mais toujours est il que la veuve LA PRAIRIE réclamait que Nicolas Médard AUDINOT l’épousa, depuis au moins 1768, ce qu’il avait toujours refusé de faire.
Acte 4: les amants réunis
C’est alors que la justice rattrape le couple AUDINOT-CAILLOUX, et les condamne le 19 janvier 1776 [5], par une sentence rendue au Châtelet de Paris, à « trois livres d’amende, à demander pardon à Dieu, et à être immédiatement écroués en prison pour s’être permis d’enregistrer leurs enfants en se déclarant régulièrement mariés [6]». Ils sont alors séparés de corps et l’Histoire ne dit pas s’ils furent enfermés.
Acte 5: Quand le passé refait à la surface
Nicolas Médard AUDINOT n’est toutefois pas au bout de ses surprises. En effet, dès le lendemain 20 janvier 1776, le sieur JOUGLAS, garde des maréchaux de France porte plainte [7] contre lui pour avoir séduit, en 1772 en Corse, sa femme et sa fille alors âgée de 14 ans. Pour échapper à la justice (et à Françoise CAILLOUX ?) Nicolas Médard AUDINOT 44 ans, épouse alors Jeanne Marie JOUGLAS 18 ans [8]. Mais ce n’était qu’un pis aller…
Acte 6: le retour du bâton
Ils vécurent quelques années heureux et eurent un enfant, jusqu’à ce que le 4 juin 1783 son épouse porte plainte « en séparation pour coups et mauvais traitement ». AUDINOT semblait en effet être relativement violent puisque même leur fils alors âgé de trois ans avait eu à subir quelques brutalités [9]. Qu’importe, puisque le 28 novembre de la même année 1783 [10], c’est au tour de Nicolas Médard AUDINOT de porter plainte contre Jeanne Marie JOUGLAS parce qu’après « une résistance de plusieurs années, madame AUDINOT avait fini (en 1782) par céder aux obsessions d’un sieur Abraham D… ». Finalement AUDINOT était peut être un jaloux violent…! En tout cas il n’admettait pas d’être trompé.
Jeanne Marie JOUGLAS est alors placée à l’abbaye de Saint Antoine mais le régime devait être sévère puisqu’elle en change rapidement pour un couvent plus tolérant, celui de la Mère de Dieu, ou elle entre sous le nom d'emprunt de DAUSSY,… avant de s’évader avec son amant. Au bout de quelque temps elle s’en revient bravement chez les religieuses, et la vie reprend son cours tortueux….
Acte 7: l’impossible sagesse
En 1787, AUDINOT reprend l’instance de 1784 car sa femme « recevait tous les jours le sieur D… ». Son but, empreint d'humanité, était alors d’ « obtenir l’incarcération de sa femme dans une maison ou elle put faire d’utiles réflexions » [11].

La suite de ce qui pourrait apparaître comme un vaudeville nous est inconnue [12], et Nicolas Médard AUDINOT meurt finalement le 21 mai 1801 à Paris.
Qui a dit qu'il est plus facile de faire actuellement une généalogie que celles que feront nos successeurs à l’époque des divorces, des familles recomposées, de la vie maritale, du pacs, et du libre choix du patronyme transmissible ? Seul le délit d’adultère a disparu, mais toutes les difficultés sont déjà présentes. La seule fille de la famille AUDINOT-CAILLOUX étant parvenue en âge de procréer semble avoir terminé sa vie en religion [13]; sinon quel nom auraient dû légalement porter ses éventuels descendants: Le patronyme de leur père biologique, celui du mari légitime ou le nom de jeune fille de leur mère ? Une fois de plus il est démontré que la généalogie ne doit pas s'établir qu'à partir des seuls actes de naissance unions et décès, ou des tables de mariages dont les limites sont ici atteintes, mais en essayant de reconstituer la vie de nos aïeux avec leurs heurts et malheurs. Si les histoires de cocus font toujours rire [14], le vieil adage "maman sûr, papa peut-être" déclenche moins d'hilarité chez le généalogiste ainsi trompé. Reste la généralisation des tests ADN pour établir les filiations, mais alors tant pis pour l’éthique et… la paix des ménages.



Notes
1] Nicolas Médard Audinot ( né à Bourmont le 7 juin 1732 et mort à Paris le 21 mai 1801) fut tour à tour attaché au Concert de la ville de Nancy (1755), musicien chez le duc de Gramont à Paris (1756), comédien de province (1757), acteur à l'Opéra-Comique (1758-1762), il éleva en 1762, à la foire St-Germain, un petit théâtre de marionnettes, dont chaque figure imitait un acteur de la Comédie-Italienne. Comédien dans la troupe du prince de Conti (1763), de nouveau acteur à la Comédie-Italienne (1764), directeur du spectacle de Versailles (1767) qu'il dirigea pendant deux ans; puis il revint à Paris où il établit, en 1769, des bamboches ou comédiens de bois qui attirèrent la foule, et bientôt Audinot put fonder la salle de l'Ambigu-Comique, où il substitua des enfants à ses marionnettes. En 1772, il fit représenter de grandes pantomimes, qui firent sa fortune. Audinot a aussi composé quelques pièces pour son théâtre, citons : la Partie de chasse, pantomime (1769) ; la Musicomanie, comédie (1774) ; le Prince noir et blanc, féerie en deux actes, en société avec Mussot (1780) ; Dorothée, pantomime en trois actes avec un prologue, en société avec le même (1782), etc…. Sources: Chirol, Cahiers haut marnais 48 …
2] Revue de Champagne et de Brie tome XII. 1883. p 188. Article signé des initiales EB, mais la table des matières de ce volume l'attribue à un dénommé Garnier. Sources: Archives Départementales cote 13REV6
3] Nicolas en 1746, Richard en 1750 et un autre enfant probablement mort en bas âge
4] A noter que les deux enfants portent le nom d'Audinot alors qu'ils devraient s'appeler Cailloux, ou à la rigueur Calame ou La Prairie du nom marital de leur mère.
5] Pièces N°1 - 2 et 3 en annexe.
6] In Revue de Champagne et de Brie tome XII. Op cité. La pièce n°3 indique une punition légèrement différente.
7] Pièce n°4 en annexe
8] L’acte n’a pas été retrouvé
9] Audinot a été décrit ainsi par un pamphlétaire: « Brutal, avare à l'excès quand il ne s'agit pas de ses plaisirs, vindicatif à outrance, chacun a droit de se plaindre de ses mauvais procédés. Aucun de ses sujets n'est sorti content de chez lui. On a beau lui représenter que le public ne doit pas souffrir de ses ressentiments particuliers, son arrogance ne se prête à aucun changement de façon de penser. » In Le Chroniqueur désœuvré, II, 44, 46
10] Pièce n°5 en annexe
11] In Revue de Champagne et de Brie, op. cité. Confirmé par la pièce n°6 en annexe
12] Les spectacles de la foire, livre de Campardon qui relate cette aventure s'arrête en 1791.
13] Certains auteurs disent qu'elle entra à l'Académie royale de musique. in Le Chroniqueur désœuvré, ou l'Espion du boulevard du Temple, I, 8. Est ce avant d'avoir été placée chez les religieuses par sa mère biologique, ou sortit-elle réellement du couvent ?
14] Vaste sujet que celui des cocus: Dans son Tableau analytique du cocuage, Charles Fourier, philosophe autodidacte aux XVIIIe et XIXe siècles, a dressé une liste de 76 types de cocus. On peut prendre la chose en rigolant ou en grinçant des dents, en criant au meurtre ou en s'immolant. Tout dépend de la tolérance au drame, au ridicule ou aux potins. "Le cocu grandiose ou impassible est celui qui ne s'affecte ni ne plaisante du cocuage qu'il entrevoit et conserve un calme parfait, sans descendre à aucune démarche qui prête au ridicule. Tels sont dans la classe opulente la plupart des époux mariés par intérêt", écrit le spécialiste du cocuage.




Annexes
Pièce n°1
A M. le prévôt de Paris ou à M. le Lieutenant civil. Supplie humblement, Nicolas-Médard Audinot, musicien de Monseigneur le prince de Conti, demeurant à Paris, rue des Fossés-du-Temple près le boulevard, paroisse Saint-Laurent, âgé de 42 ans, natif de Bourmon, capitale du Bassigni près la Lorraine, Disant que, dès sa plus tendre jeunesse, il a aimé et s'est occupé de la musique. Que pour s'y habituer et s'y instruire il a couru et suivi les comédiens dans les différentes provinces du royaume. Qu'en année 1755 il s'en fut à Nanci en Lorraine où il resta six mois ou environ attaché au concert de cette ville. Que pendant ce séjour à Nancy il fit connoissance avec Françoise Cailloux dite Cateau, alors épouse du sieur Calame dit Laprairie, architecte à Nanci. Qu'elle avoit quitté son mari et étoit retirée dans une chambre vis-à-vis la place d'Armes où elle logeoit avec ses trois enfans. Que vers la fin de 1755 ou dès le commencement de 1756, ils projetèrent de venir à Paris. Ils n'avoient aucun bien ni l'un ni l'autre. Le suppliant ayant reçu 600 livres pour ses appointemens au concert de Nanci, il en remit la plus forte partie à ladite Françoise Cailloux avec laquelle il vivoit charnellement. Aussitôt elle partit seule pour venir à Paris afin de se dérober à son mari, à leurs enfans et à leurs familles communes. Elle ne prévint personne de son départ. Arrivée à Paris elle descendit à l'hôtel de Picardie, rue Françoise, vis-à-vis la Comédie-ltalienne. Environ quinze jours après, le suppliant partit de Nanci pour venir à Paris ; il descendit chez son frère, maître perruquier, faubourg Saint-Honoré, et se mit aussitôt au concert de M. le duc de Gramont. Étant tous les deux réunis à Paris, ils continuèrent de se voir et de se fréquenter et de vivre ensemble à l'ordinaire. Qu'ensuite le suppliant fut courir les comédies en province et laissa ladite Cailloux à Paris n'ayant pas de quoi subsister. Elle se retira a l'Hôtel-Dieu de Paris ou elle accoucha d'une fille qui fut baptisée à l'Hôtel-Dieu le 8 octobre 1756 et nommée Marie-Françoise, fille légitime de Nicolas Audinot et de Françoise Dubois. Le suppliant ne présida pas au baptême ; ce fut l'ouvrage de Françoise Cailloux : il étoit alors au Hâvre-de-Grâce. Ladite Cailloux lui écrivit son état et après son rétablissement elle vint le trouver au Hâvre-de-Grâce, où ils restèrent pendant quelque tems. Ensuite ils coururent ensemble les comédies dans les provinces. Après cela ils revinrent ensemble à Versailles où Françoise Cailloux accoucha d'une seconde fille, en année 1758, qui fut baptisée à Versailles. Enfin ils se fixèrent à Paris, rue des Boucheries, faubourg Saint-Germain, paroisse Saint-Sulpice, et le suppliant fut occupé à la foire Saint-Germain-des-Prés. Ils avoient leur appartement rue des Boucheries, où ladite Cailloux accoucha d'une troisième fille, née le 19 mars 1759, baptisée le lendemain en l'église de Saint-Sulpice à Paris. Voici l'extrait de baptême : « Le 20 mars 1759, a été baptisée Josèphe-Eulalie, née d'hier, fille de Nicolas Audinot, musicien, et de Françoise Dubois, son épouse, demeurant rue des Boucheries. Le parrain, Nicolas-Antoine Alison, officier de maison ; la marraine, Catherine Martin, femme de Jean Audinot, bourgeois de Paris ; le père présent. » Les extraits de baptême des deux autres enfans précédemment nés du même commerce, sont calqués sur celui-ci. Le suppliant étoit alors mineur, sans expérience ; il ne fit pas attention à la manière dont étoient dressés ces extraits de baptême qui, par leurs mauvais énoncés, absurdes et sans attention, donnoient la légitimité aux trois enfans ; ce qui étoit ni vrai ni possible et ; même contraire aux faits parce qu'alors Françoise Cailloux dite Cateau, vraie mère de ces trois enfans en question, étoit dans les liens de son mariage légitime avec le sieur Calame dit Laprairie, son mari, architecte à Nanci, qui vivoit alors et qui n'est décédé que depuis la naissance du dernier de ces trois enfans et qu'alors il y avoit trois enfans vivans de ce légitime mariage qu'elle laissa à son mari en partant pour Paris. Et le mari de ladite Françoise Cailloux n'est décédé qu'en l'année 1767 ou 1768. Dans les extraits de baptême de ces trois enfans naturels nés en 1756, 1758 et l759, il s'est glissé plusieurs fautes et erreurs : 1º La mère de ces enfans y a été nommée Françoise Dubois au lieu de Françoise Cailloux, son véritable nom de famille ; 2º elle y a été dite l'épouse du suppliant : le fait est qu'il n'y a pas eu de mariage entre eux et que cela étoit impossible puisque Françoise Cailloux, mal à propos nommée Dubois, étoit mariée avec le sieur Laprairie au tems de la naissance de ces trois enfans. Le dernier est né le 19 mars 1759 ; c'est une fille vivante. Les deux autres enfans sont décédés et le sieur Calame, mari de ladite Françoise Cailloux, n'est décédé que dix ans après. La certitude de ces faits prouve que Françoise Cailloux, mère de ces trois enfans, n'étoit pas libre ; qu'elle ne pouvoit pas se marier avec le suppliant et par conséquent ne pouvoit pas donner de légitimité à ses trois enfans. A l'égard du nom de famille de Dubois donné à la mère dans les extraits de baptême des trois enfans, ce n'est qu'une erreur de fait qui doit être réformée. La vérité est que la Dubois ou la Cailloux est la même personne et le même individu. Françoise Cailloux, mal à propos nommée Dubois, est vivante et existe à Paris, rue Villedo, quartier de la rue de Richelieu. Le suppliant a vécu et habité avec elle pendant 14 ans, c'est-à-dire depuis 1755 jusques et y compris 1769 qu'elle a quitté de sa maison, grande rue du faubourg Saint-Denis, pour aller demeurer rue Villedo. C'est pendant ces 14 ans que sont nés de leur cohabitation les trois enfans en question et pendant ce même tems il a nourri, logé et entretenu dans sa maison Françoise Cailloux, mère naturelle des trois enfans. Elle n'avoit aucun bien alors, et depuis son départ de Nanci elle n'y a pas retourné et n'a pas cessé d'être à Paris. C'est elle qui a eu soin et qui a élevé Josèphe-Eulalie, qui reste aujourd'hui seule vivante de ces trois enfans naturels. L'éducation a été donnée dans la maison du sieur Audinot où demeuroit ladite Françoise Cailloux. Elle n'avoit pas d'autre demeure ; ils vivoient ensemble comme mari et femme et cela pendant 14 ans. Cela ne peut être dénié par Françoise Cailloux, cela a été public. On l'appeloit madame Audinot, cependant ils n'étoient pas mariés ; cela ne se pouvoit pas puisque Françoise Cailloux avoit alors son mari vivant. Depuis qu'elle a quitté la maison du sieur Audinot, en 1769, il n'a pas cessé de lui rendre des visites honnêtement de sa part. Il n'a pas cessé non plus de voir sa fille et de veiller à son éducation. La fille est avec la mère, elles se voient tous les jours. D'après tous ces faits, qui sont de notoriété publique, qui seront attestés et vérifiés sous l'autorité de la justice, et sous la foi du serment par les chirurgiens, les accoucheurs, les parrains et marraines, les nourrices, les pères nourriciers, les voisins et amis et qui ne pourront pas être déniés par Françoise Cailloux, à présent veuve Calame dite Laprairie, qui est la mère des enfans, le suppliant, pour sa tranquillité, pour celle de Françoise Cailloux, pour mettre leurs affaires en bon ordre suivant les lois, désire, en rendant hommage à la vérité, faire rectifier lesdits trois extraits baptistaires et les rendre conformes aux faits et au véritable état desdits trois enfans dont il n'existe plus aujourd'hui que Josèphe-Eulalie, née le 19 mars 1759, baptisée le lendemain et actuellement dans la maison du suppliant comme sa fille naturelle. Pourquoi c'est à ces causes que le suppliant a recours à votre autorité. Ce considéré, Monsieur, attendu tout ce que dessus et les offres que fait le suppliant d'administrer la preuve de tous les faits qu'il vient d'articuler, il vous plaise de lui permettre de faire assigner par-devant vous en votre hôtel, aux jour et heure qu'il vous plaira indiquer, ladite Françoise Cailloux dite Cateau, à présent veuve du sieur Calame dit Laprairie, mère desdits trois enfans naturels, les médecins, chirurgiens, accoucheurs, les parrains et marraines desdits trois enfans naturels, les nourrices, les voisins et amis et toutes autres personnes quelconques qui ont connoissance desdits faits, circonstances et dépendances, à l'effet par chacun en particulier de prendre communication en votre hôtel et sans déplacement, par les mains du greffier, de la présente requête et des pièces qui seront représentées, de faire le serment en pareil cas requis, de conférer entre eux sur le contenu en ladite requête, de faire leurs déclarations, dires, réquisitions, de s'expliquer conjointement ou séparément sur tous lesdits faits et particulièrement s'ils connoissent ladite Françoise Cailloux dite Cateau, à présent veuve Calame dite Laprairie ; si elle est actuellement vivante et existante ; où elle demeure ; s'ils l'ont vue demeurer dans la maison du suppliant et habiter avec lui et pendant combien d'années ; si elle a été appelée madame Audinot ; s'ils avoient ensemble des familiarités ; s'ils vivoient ensemble comme mari et femme ; si ils la reconnoissent pour être véritablement la même personne et la même femme que celle qu'ils ont vue dans la maison du suppliant habiter et vivre avec lui à Paris depuis 1759 jusqu'en 1769 sans interruption ; quelle connoissance ils ont sur le nom de famille Dubois donné à la mère des trois enfans en question au lieu de son véritable nom de famille, qui est Cailloux ; quelle connoissance ils ont de la naissance et de l'état desdits trois enfans en question et particulièrement de ladite Eulalie, qui reste seule desdits trois enfans et actuellement âgée de 16 ans ou environ ; s'ils ont vu cette enfant dans la maison du sieur Audinot dans le tems que ladite Françoise Cailloux y demeuroit ; si ladite Cailloux avoit soin de cette enfant ; si elle l'appeloit sa fille ; si le sieur Audinot appeloit aussi cette enfant sa fille ; si ledit sieur Audinot appeloit ladite Cailloux sa femme ; si ils vivoient familièrement ensemble ; si ils mangeoient à la même table ; sur quel pied elle étoit et vivoit avec ledit sieur Audinot dans sa maison ; si on l'appeloit madame Audinot ; si elle ordonnoit et faisoit les honneurs de la maison en femme et maîtresse : Et enfin pour donner leur avis conjointement ou séparément sur les réformations à faire sur les extraits de baptême desdits trois enfans dont est question et particulièrement sur l'extrait de baptême de ladite Josèphe-Eulalie, qui reste seule vivante ; le tout pour, en vertu de la sentence à intervenir, supprimer le nom de famille de Dubois donné mal à propos à la mère desdits trois enfans en question dans leurs extraits de baptême au lieu de Cailloux, qui est son véritable nom de famille, lequel nom de famille Cailloux sera substitué et mis à la place de celui de Dubois, ôter et supprimer pareillement dans lesdits trois extraits de baptême desdits trois enfans et dans les extraits de mort de deux desdits enfans qui sont décédés les termes qui y ont été mis mal à propos et contre la vérité de femme et de père légitimes, ce qui n'est pas et n'a pu être, et à la place y substituer enfans naturels de Nicolas-Médard Audinot et de Françoise Cailloux. Et au surplus être fait ce qui sera de droit et nécessaire ; et à cet effet ordonner que les dépositaires des registres des baptêmes des paroisses où lesdits trois enfans ont été baptisés seront tenus de les représenter à toutes réquisitions en votre hôtel pour y être vus et communiqués sans déplacer aux personnes qui seront assignées, aux offres que fait le suppliant de payer salaire raisonnable sous réserve au surplus de ses droits. Signé : BORDIER, l'aîné. Soit communiqué au procureur du Roi. Fait ce 11 juillet 1775. Signé : ANGRAN. Sources: http://www.theatrales.uqam.ca/

Pièce n°2
Vu les extraits : 1º de l'acte de baptême de Françoise Cailloux, du 10 juin 1725 ; 2ºde l'acte de célébration de mariage d'entre Richard Calame et Françoise Cailloux, du 28 avril 1744 ; 3º de l'acte de baptême de Nicolas Calame, du 17 avril 1746 ; 4º de l'acte de baptême de Richard Calame, du 28 janvier 1750 ; 5º du procès-verbal dressé par défunt le commissaire Lafosse, du 9 octobre 1756, duquel il résulte qu'une enfant nommée Marie-Françoise Dubois a été portée à l'Hôtel-Dieu, ensuite duquel est aussi un registre de l'hôpital des Enfans trouvés qui constate que Marie-Françoise Dubois a été reçue audit hôpital et qu'elle est décédée le 18 dudit mois d'octobre ; 6º de l'acte de baptême de Marie-Françoise, fille légitime de Nicolas Audinot, musicien, et de Françoise Dubois, demeurante à Paris, son épouse, du 18 octobre 1756 ; 7º de l'acte de baptême de Cécile, fille dudit Nicolas Audinot, musicien, et de ladite Françoise Cailloux, son épouse, du 13 décembre 1757 ; 8º de l'acte mortuaire de ladite Cécile Audinot, du 17 juin 1758 ; 9º de l'acte de baptême de Josèphe-Eulalie, fille dudit Nicolas Audinot, musicien ; et de ladite Françoise Dubois, son épouse, du 20 mars 1759 ; ledit Nicolas Audinot présent audit acte, y a signé ; l0º de l'acte mortuaire dudit Richard Calame, du 8 octobre 1762. La requête de Nicolas-Médard Audinot tendante aux fins y contenues. L'ordonnance de soit communiqué du 11 de ce mois : Je requiers pour le Roi m'être donné acte de la plainte que je rends : 1º contre ledit Nicolas-Médard Audinot, de ce que dans l'acte de baptême de Josèphe- Eulalie, du 20 mars 1759, il a pris la qualité d'époux de Françoise Dubois quoique ladite Françoise Dubois fût mariée au nommé Richard Calame, alors existant, ainsi qu'il résulte dudit acte de célébration de leur mariage du 28 avril 1744, où elle a été nommée Françoise Cailloux, et encore de ce que ledit Nicolas-Médard Audinot a signé comme véritable époux de ladite Françoise Dubois et père dudit enfant audit acte de baptême. 2º Contre ladite Françoise Cailloux, femme de Richard Calame, de ce qu'elle s'est fait passer pour femme dudit Nicolas-Médard Audinot et a pris le nom de Françoise Dubois quoiqu'elle fût mariée audit Richard Calame et qu'elle se nommât véritablement, ainsi qu'elle se nomme, Françoise Cailloux. 3º Contre ledit Nicolas-Médard Audinot et ladite Françoise Cailloux de ce que, dans les actes de baptême de Marie-Françoise Audinot, Cécile Audinot, des 8 octobre 1756, 13 décembre 1757 et dans l'acte mortuaire de cette dernière du 17 juin 1758, ils y ont pris ou fait prendre la qualité d'époux et se sont fait passer pour tels. Comme aussi de ce que ladite Françoise Cailloux a donné ou fait donner dans les actes de baptême desdites Marie-Françoise et Josèphe-Eulalie Audinot, des 8 octobre 1756 et 20 mars 1759, les noms de Françoise Dubois. En conséquence être ordonné qu'il en sera informé par-devant tel commissaire qui sera commis à cet effet par M. le Lieutenant civil ainsi que des faits : 1º que ladite Françoise Cailloux dite Cateau est le même individu que Françoise Dubois, lors épouse dudit défunt Richard Calame ; 2ºque ladite Françoise Cailloux dite Dubois est demeurée et a habité avec ledit Nicolas-Médard Audinot, depuis 1759 jusqu'en 1769 et à quel titre et sous quelle qualité elle y est demeurée ; 3º de la naissance et de l'état desdites Marie-Françoise, Cécile et Josèphe-Eulalie Audinot et notamment en ce qui concerne cette dernière actuellement existante, pour l'information faite, à moi communiquée, être par moi requis et par M. le Lieutenant civil ordonné ce que de raison. Fait ce 24 juillet 1775.
Signé : MOREAU. Vu la requête, les pièces y énoncées et les conclusions du procureur du Roi : Nous avons audit procureur du Roi donné acte de la plainte des faits par lui articulés en lesdites conclusions, en conséquence ordonnons qu'il en sera informé, circonstances et dépendances, par-devant le commissaire Joron, qu'à ce faire commettons, pour l'information faite, communiquée au procureur du Roi être par lui requis et par nous ordonné ce qu'il appartiendra. Fait ce 29 juillet 1775. Signé : ANGRAN. Sources: http://www.theatrales.uqam.ca/

Pièce n°3
Voici la sentence qui fut rendue par le Châtelet contre Audinot à ce sujet. L'original a disparu des Archives du Châtelet, et la copie transcrite est extraite du Chroniqueur désœuvré (I, 83) : « Extrait des registres du greffe du Châtelet de Paris : Le procureur du Roi, demandeur et accusateur ; Nicolas-Médard Audinot, maître du spectacle de L'Ambigu-Comique, et Françoise Cailloux veuve de Richard Calame dit la Prairie, architecte à Nanci, défendeurs et accusés : Nous, par délibération du Conseil, ouï sur ce le procureur du Roi, déclarons lesdits Nicolas-Médard Audinot et Françoise Cailloux veuve Calame dite la Prairie duement atteints et convaincus ; savoir, ledit Nicolas-Médard Audinot d'avoir pris faussement et notoirement tant du vivant du sieur Calame, mari de ladite Françoise Cailloux, que depuis son décès, la qualité d'époux de ladite Françoise Cailloux, tantôt sous ses véritables noms de Françoise Cailloux, tantôt sous les noms supposés de Françoise Dubois, et d'avoir fait passer publiquement pour sa femme ladite Françoise Cailloux ; et ladite Françoise Cailloux d'avoir pareillement déguisé ses véritables noms de fille et de femme tant du vivant que depuis le décès dudit Calame, son mari, et de s'être fait passer publiquement pour femme dudit Nicolas-Médard Audinot, ainsi qu'il est mentionné au procès. Pour réparation, les condamnons à faire amende honorable en la chambre du Conseil en la présence des juges et là étant à genoux et ledit Nicolas-Médard Audinot nu-tête, dire et déclarer chacun à haute et intelligible voix que témérairement et comme mal avisés ils ont : savoir ledit Nicolas-Médard Audinot pris faussement et notoirement tant du vivant dudit sieur Calame, mari de ladite Françoise Cailloux, que depuis son décès, la qualité d'époux de ladite Françoise Cailloux et de ce qu'il l'a fait passer publiquement pour sa femme, et ladite Françoise Cailloux veuve Calame d'avoir pareillement déguisé ses véritables noms de fille et de femme tant du vivant que depuis le décès dudit Calame, son mari, et de s'être fait passer publiquement pour femme dudit Nicolas Médard Audinot dont ils se repentent et demandent pardon à Dieu, au Roi et à la justice, les condamnons à trois livres d'amende envers le Roi à prendre sur leurs biens. Et pour l'exécution des présentes ordonnons que lesdits Nicolas-Médard Audinot et Françoise Cailloux veuve Calame passeront à l'instant les guichets de la prison du Grand-Châtelet pour y être écroués à la requête du procureur du Roi par Gilles, huissier audiencier de service. Et en ce qui concerne la requête dudit Nicolas Médard Audinot à fin de réformation des actes y mentionnés, disons qu'il sera sursis actes fait droit sur ladite requête et qu'à la requête du procureur du Roi, les parens et amis de la mineure Josèphe-Eulalie seront convoqués en l'hôtel de M. le Lieutenant civil au premier jour pour donner leur avis sur le contenu en ladite requête qui leur sera communiquée, pour sur le procès-verbal qui en sera dressé être ordonné ce qu'il appartiendra. Disons aussi que la présente sentence sera à la diligence du procureur du Roi imprimée et affichée dans tous les lieux et carrefours accoutumés de la ville et faubourgs de Paris et partout où besoin sera. Fait et jugé le 19 janvier 1776 par messire Denis-François Angran d'Alleray, lieutenant civil de la ville, prévôté et vicomté de Paris ; M. Petit de Honville, lieutenant particulier au Châtelet, etc. etc. » Ensuite de cette sentence est le procès-verbal d'exécution, signé Moreau, greffier, et qui constate que Nicolas-Médard Audinot et Françoise Cailloux ont subi le blâme dans la chambre du Conseil du Châtelet de Paris, le lendemain 20 janvier. Sources: http://www.theatrales.uqam.ca/

Pièce n°4
L'an 1776, le samedi 20 janvier, neuf heures et demie du soir, en l'hôtel et par-devant nous Jean-François Hugues, etc., est comparu sieur Louis-Marie Jouglas, garde des maréchaux de France, demeurant à Paris, rue du Bouloi, paroisse St-Eustache. Lequel nous a rendu plainte contre le sieur Audinot, entrepreneur du spectacle de l'Ambigu-Comique, et nous a dit que ledit sieur Audinot, en l'absence du comparant, qui étoit en l'île de Corse, il y a environ quatre ans, s'étant insinué chez l'épouse de lui plaignant, est parvenu par ses séductions à abuser de la femme du plaignant, et à débaucher la demoiselle Marie-Jeanne Jouglas, sa fille, alors âgée de quatorze ans, qu'il a emmenée hors de la maison paternelle ; que le plaignant, de retour de son voyage, ayant appris cette action, s'est pourvu par-devant le magistrat et a obtenu un ordre en vertu duquel il a fait mettre ladite demoiselle, sa fille, dans un couvent ; que cependant ledit sieur Audinot ayant vu le plaignant et l'ayant plusieurs fois assuré que son intention avoit toujours été d'épouser ladite demoiselle sa fille, le plaignant s'est laissé aller aux sollicitations dudit sieur Audinot qu'il crut de bonne soi, a fait sortir sadite fille du couvent et l'a fait revenir chez lui ; que ledit sieur Audinot lui rendoit visite de tems à autre et flattoit toujours le plaignant de la promesse de s'unir incessamment alors que les obstacles qui s'opposaient à ce mariage seroient levés ; que la convention du plaignant avec le sieur Audinot étoit que ladite demoiselle sa fille resteroit chez lui plaignant ou au couvent ; que néanmoins plusieurs fois ledit sieur Audinot, à l'insu du plaignant, emmenoit ladite demoiselle Jouglas chez lui ou à la campagne, ce qui a nécessité plusieurs fois le plaignant de la faire rentrer au couvent ; qu'enfin le sieur Audinot vient de lui donner la preuve la plus complète que son intention n'a jamais été d'épouser ladite demoiselle Jouglas, mais d'abuser de sa jeunesse, de la débaucher et vivre avec elle comme avec une concubine : le plaignant, rentrant chez lui il y a environ une demi-heure, a été fort étonné d'apprendre par sa domestique qu'étant allée chercher ladite demoiselle Jouglas qui étoit chez ledit sieur Audinot, ladite demoiselle Jouglas étoit venue avec elle accompagnée de la fille domestique dudit sieur Audinot et qu'étant chez le plaignant, elles avoient, nonobstant les représentations et oppositions de ladite domestique du plaignant, fait un paquet des hardes et effets à l'usage de ladite demoiselle Jouglas, qu'elles avoient emporté ; que le plaignant est aussitôt allé chez ledit sieur Audinot où il a trouvé sadite fille ; qu'ayant tiré ledit sieur Audinot à part, il lui a fait de justes reproches sur sa conduite indécente et les voies iniques qu'il employoit pour abuser, sous de feintes promesses, de la bonne foi du plaignant et a fini par lui dire de lui faire rendre à l'instant sa fille ; que ledit sieur Audinot lui a dit affirmativement que ladite demoiselle Jouglas ne retourneroit pas chez lui, qu'elle ne vouloit pas y aller et qu'elle étoit mieux chez lui sieur Audinot ; que même, pour la soustraire aux recherches du comparant, il l'a fait cacher. Et comme d'après cette réponse dudit sieur Audinot, qui jusqu'à présent l'a amusé de vaines promesses, le plaignant n'a plus lieu de douter que ledit sieur Audinot n'a jamais eu le dessein d'épouser ladite demoiselle Jouglas, mais seulement de la séduire, et qu'il entend se pourvoir contre ledit sieur Audinot, il est venu nous rendre la présente plainte. Signe : JOUGLAS ; HUGUES. Sources: http://www.theatrales.uqam.ca/

Pièce n°5
L'an 1783, le vendredi 28 novembre, neuf heures un quart de relevée, en notre hôtel et par-devant nous Mathieu Vanglenne, etc., est comparu sieur Nicolas-Médard Audinot, ancien pensionnaire du Roi, musicien de feu S. A. Monseigneur le prince de Conti et entrepreneur du spectacle de l'Ambigu-Comique, demeurant à Paris, rue des Fossés-du-Temple, paroisse St-Laurent : lequel nous a dit que les manœuvres criminelles pratiquées par un particulier qu'il a appris se nommer Abraham D… ;.. pour parvenir à séduire la dame Audinot, son épouse, sont portées à un tel point qu'il ne trouve plus dans l'autorité maritale des moyens suffisans pour les réprimer et que son unique ressource est d'implorer le secours des tribunaux. En 1776, le plaignant épousa Jeanne Jouglas, alors âgée de 19 ans et sans fortune. Le plaignant lui fit des avantages considérables par son contrat de mariage, espérant que la tendresse de sa femme étant fortifiée par les sentimens de reconnoissance, leur union en seroit d'autant plus durable. Pendant les deux premières années du mariage le plaignant n'eut pas lieu de se plaindre de sa femme, et ils jouiroient encore tous les deux de la plus parfaite tranquillité, si le sieur Abraham D… ne fût venu la troubler. Vers le mois de janvier 1782, ledit sieur Abraham D… s'étant procuré l'entrée de la maison du comparant à son insu et par le secours des domestiques qu'il avoit gagnés, il n'épargna rien pour consommer le projet qu'il avoit conçu et séduire la femme du comparant. Il commença par détruire dans le cœur de ladite dame Audinot tous les sentimens d'estime et de tendresse qu'elle avoit pour son mari, et suivant l'usage des séducteurs il représenta à ladite dame Audinot la sainteté du mariage comme une chimère et la fidélité conjugale comme un préjugé ridicule fait pour le peuple et pour les ignorans et il ne craignit pas même de consigner cette criminelle doctrine dans plusieurs lettres qui sont tombées entre les mains du comparant. Le comparant ignore jusqu'à quel point ces affreuses leçons ont pu faire impression sur l'esprit de ladite dame Audinot ; il aime à se flatter que les entreprises dudit sieur Abraham n'ont pas été couronnées du succès le plus complet et tel que sa passion le lui faisoit désirer : mais ce qu'il ne peut pas se dissimuler, c'est que ces pernicieuses sollicitations ont au moins servi à lui faire mépriser les devoirs les plus sacrés de son état, à méconnoître les droits de l'autorité maritale et même à braver les lois imposées par la décence. Au mois de mai 1782, le comparant envoya sa femme passer quelque tems à sa maison de campagne sise à Cernai à quelques lieues de Paris, ladite dame Audinot l'ayant fait savoir audit sieur Abraham D....., celui-ci imagina de louer une maison à Sannois, qui n'est éloigné de Cernai que de quelques portées de fusil, et il eut la liberté, à la faveur du voisinage, de voir et de fréquenter ladite dame Audinot autant qu'il le voulut. Ce qui facilitoit d'autant mieux ce dérèglement étoit l'absence du comparant qui, retenu dans la capitale par une indisposition et des occupations pénibles, n'étoit pas en état d'aller troubler les plaisirs du sieur Abraham D....., et d'ailleurs il y avoit des mesures prises pour être averti de son arrivée et en prévenir les fâcheux effets. Le comparant avoit ignoré jusqu'alors la liaison qui régnoit entre ledit sieur Abraham et ladite dame Audinot, et ce ne fut qu'au retour de la campagne qu'il en fut éclairci à l'occasion suivante. Au mois de septembre 1782, un jour que le plaignant étoit resté chez lui pour cause d'indisposition, il vit arriver sur les huit heures du soir un particulier qu'il a su depuis être ledit sieur Abraham D.… celui-ci, qui ne s'attendoit pas à trouver le sieur Audinot à cette heure-là, ayant appris par des signes que lui fit la femme du comparant que son mari étoit à la maison, alla se cacher dans un escalier dérobé. Le plaignant, qui commençoit à soupçonner quelque mauvaise intention de la part de ce particulier, se mit en devoir de le chercher et l'ayant enfin rencontré dans l'endroit obscur ou il s'étoit reculé, il feignit d'abord de ne pas connoître la femme du comparant ; mais ayant été conduit devant elle par le comparant, il ne put pas soutenir plus longtems sa dissimulation et il avoua au comparant que depuis 8 à 9 mois il fréquentoit ladite dame son épouse dont il avoit fait la connoissance au bal et que, pour s'introduire chez elle, il avoit séduit et suborné tous les domestiques de la maison par argent et par présens. Après une déclaration aussi hardie, le comparant eut la force de contenir son indignation, il se contenta de mettre le sieur Abraham D.… à la porte en lui interdisant l'entrée de sa maison avec défense à sa femme d'entretenir aucune correspondance avec lui. Quelque tems après, le comparant a appris que ledit sieur D..... avoit recélé dans sa maison de Sannois une quantité de meubles, effets et hardes que ladite dame Audinot y avoit fait transporter de la maison de Cernai. Le comparant voulut rendre plainte au juge d'Enghien de ce fait, mais ledit sieur D....., qui prévoyoit l'état fâcheux auquel cette procédure alloit l'exposer, se détermina à renvoyer ces effets dans la maison du comparant, mais il n'en continua pas moins son commerce avec l'épouse du comparant, soit en s'introduisant chez lui pendant son absence, soit en lui indiquant des rendez-vous par le moyen de lettres qu'il avoit l'adresse de lui faire parvenir. Quelques-unes de ces lettres sont tombées entre les mains du comparant. Il y en a une datée du 30 septembre 1782, d'autant plus importante qu'elle découvre les moyens dont ils devoient se servir pour entretenir leur correspondance. Dans cette lettre, où ledit sieur Abraham D… ;.. appelle la femme du comparant « Ma chère petite femme », il s'exprime ainsi : « Pour t'instruire de ce qui se passera au dehors et apprendre de toi ce qui se passera dans ton intérieur, il faut que tu m'écrives et que je t'écrive. Tous les jours je t'indiquerai l'heure où je viendrai et jamais elle ne sera la même, jamais je n'irai seul et sans armes crainte de surprise. Tu me descendras ta lettre et prendras la mienne au bout d'un ruban. Surtout que la porte de ton boudoir soit bien fermée et la clef sur toi, crainte encore de surprise. Je ne resterai pas sous tes fenêtres pour te parler, cela seroit trop imprudent, vu que la porte du prince est au-dessus et qu'il y a à trembler du tout avec un homme comme ton mari. Tu liras ma lettre, je passerai de tems en tems, et quand elle sera lue, tu me la rendras. Je les garderai avec le plus grand soin, les déposerai moi-même comme j'ai déjà fait des autres et nous serons enchantés un jour de les retrouver, etc. » La suite de cette lettre contient plusieurs autres détails qui développent le même esprit de séduction et qui annoncent la liaison la plus intime. Le mercredi de la semaine sainte de l'année 1782 le comparant ayant été obligé de s'absenter trois jours de Paris pour aller à Cernai, ledit sieur Abraham D… ;.. profita de cette absence pour s'introduire dans sa maison. Le comparant voudroit se persuader que son épouse en recevant ledit sieur Abraham D… en l'absence dudit sieur son mari ne fit qu'un acte d'indiscrétion, mais la lecture d'une lettre à elle écrite par ledit sieur Abraham D… le lendemain du retour du comparant, est capable de faire naître les idées les plus affligeantes pour sa vertu. En effet, ledit sieur Abraham D… se félicite dans cette lettre des voluptés délicieuses qu'il a goûtées et se plaint de ce que le retour de son mari est venu en interrompre le cours : « Il est de retour », dit cette lettre. « Est-il bien vrai ? Pourquoi revient-il, sans espoir de bonheur, troubler les jours de deux êtres à qui son absence procuroit le bien suprême. Qu'ils se sont vite écoulés ces trois jours que l'amour lui-même nous a filés. Dès que la nuit sera venue, je vole chez toi et je te donne tous les baisers qu'en attendant je dépose dans ce billet. » Une autre lettre du 12 octobre 1782, également surprise par le comparant, contient les détails les plus expressifs de l'extrême passion dudit sieur D..... et les maximes les plus criminelles pour justifier l'infidélité conjugale. Le comparant s'étoit procuré plusieurs autres lettres que ledit sieur Abraham avoit écrites à ladite dame et plusieurs brouillons de lettres écrites par son épouse audit sieur Abraham D…, toutes lesquelles lettres respectives s'accordent avec celles dont il vient d'être parlé et qui annoncent une liaison criminelle, mais ladite dame Audinot est parvenue à les soustraire audit sieur son mari en forçant son secrétaire dans lequel elles étoient renfermées. Dans cette situation, le comparant pensa qu'il n'y avoit que la retraite dans une maison religieuse qui pût soustraire sa femme aux sollicitations criminelles dudit sieur Abraham D… et la ramener à l'observation de ses devoirs, et la femme du comparant ayant accepté ce parti, elle entra, le 23 juillet dernier, dans le couvent de l'abbaye St-Antoine ainsi que le comparant le lui avoit permis ; mais la régularité de cette maison ne s'accordant pas avec ses projets ni avec ceux dudit sieur Abraham D…, elle s'est avisée de s'évader de cette maison sans en prévenir le comparant et d'aller s'établir, quinze jours après environ, dans une maison beaucoup plus facile et dans laquelle elle a été reçue sans aucune information préalable, c'est la maison dite de la Mère de Dieu, paroisse St-Sulpice. Le comparant est instruit que pour se livrer plus librement à ses désordres, ladite dame Audinot a changé de nom et qu'elle a pris le nom de Daussy, sous lequel seulement elle est connue dans cette maison. II est également instruit qu'elle y reçoit journellement les visites du sieur Abraham D…, qui a un libre accès dans son appartement, qu'elle-même va fréquemment chez lui et qu'elle a plusieurs fois découché de la maison, le faisant passer pour son frère. Que le 19 août dernier, étant partie de la communauté à neuf heures du matin, elle alla dans un carrosse de place vers le petit Montrouge où elle fut rejointe par ledit sieur Abraham D..... et que tous les deux ils descendirent à l'auberge de la Maison-Blanche, ou ils restèrent enfermés dans une chambre jusqu'à trois heures après midi, et qu'ensuite ledit sieur Abraham la reconduisit jusqu'à la place Saint-Michel. Que le jeudi 28 du mois d'août dernier, la femme du comparant sortit de son couvent entre cinq et six heures du soir, monta toute seule dans un fiacre et se rendit à Clichi dans la maison dudit sieur Abraham D…, qu'elle y passa la nuit et que le lendemain matin ils s'en revinrent ensemble en cabriolet à Paris. Qu'ils passèrent encore ensemble toute la journée et qu'elle ne rentra dans son couvent qu'entre cinq et six heures du soir, c'est-à-dire après une absence de 24 heures. Enfin le comparant est encore instruit de bonne part qu'ils ont des entrevues journalières dans une maison suspecte, rue Montmartre. Ledit sieur comparant nous observe, en outre, que par son contrat de mariage, il n'y a pas de communauté de biens établie entre lui et la dame son épouse ; que néanmoins, depuis le commencement de ses liaisons avec ledit sieur Abraham D…, elle a emporté de la maison dudit sieur son mari différens effets, notamment trois plats d'argent et que lors de sa retraite au couvent et successivement, elle a encore emporté trois autres plats d'argent et différens autres objets, comme armoires, tables, commodes et des diamans, bijoux et dentelles, pour environ 8 mille livres. Dans ces circonstances le plaignant seroit fans doute autorisé à provoquer toute la rigueur de la justice soit contre ledit sieur Abraham D…, soit contre la dame Audinot son épouse ; mais le comparant aime à croire que sa malheureuse épouse ne perdit de vue ses devoirs que par l'obsession opiniâtre et les sollicitations pernicieuses dudit sieur Abraham D....., que son cœur n'est pas insensible aux remords et qu'elle seroit aisément rappelée à la pratique de ses devoirs si elle étoit pendant quelque tems séparée de l'objet dangereux qui s'étudie à la séduire. Mais pour consommer une séparation aussi importante, le comparant reconnoît que ses propres forces sont insuffisantes et que quelques mesures qu'il pût prendre, les efforts combinés de sa femme et dudit sieur Abraham D..... les rendroient bientôt illusoires, et qu'enfin il n'y a pas d'autre parti à prendre pour lui que d'associer l'autorité judiciaire à l'autorité maritale. Pourquoi le comparant nous a requis acte de sa plainte, etc.
Signé : AUDINOT ; VANGLENNE. Sources: http://www.theatrales.uqam.ca/

Pièce N°6
"L'an 1787, le samedi 15 décembre, dix heures du matin, en notre hôtel et par-devant nous Mathieu Vanglenne, etc., est comparu sieur Nicolas-Médard Audinot, ancien pensionnaire du Roi, musicien de feu S. A. S. Monseigneur le prince de Conti, et entrepreneur du spectacle de l'Ambigu-Comique, demeurant à Paris, rue des Fossés-du-Temple, paroisse Saint-Laurent. Lequel, en ajoutant à la plainte qu'il nous a rendue, le 28 novembre 1783, nous a dit que des motifs qu'il se réserve d'expliquer en tems et lieu l'ont déterminé à suspendre les poursuites qu'il se proposoit de faire sur cette plainte ; il se flattoit que la dame Audinot, son épouse, persuadée de ses torts envers son mari chercheroit à les réparer par une conduite plus régulière, mais les conseils dangereux de l'homme qui s'est emparé de son esprit l'ont éloignée plus que jamais des moyens qu'elle auroit dû prendre pour faire oublier à son mari les chagrins qu'elle lui avoit causés, et le comparant se voit enfin forcé de recourir à la justice pour faire cesser des liaisons qu'il croît jusqu'à présent plus indiscrètes que criminelles. La dame Audinot, au lieu de se retirer dans un couvent cloîtré comme le sieur Audinot y avoit consenti, a loué un appartement dans une communauté religieuse sous le nom de la Mère de Dieu, rue du Vieux-Colombier. Il est notoire que le sieur Abraham D..... n'a pas cessé de la voir tous les jours et à toutes heures depuis le moment où elle s'y est établie ; elle n'en sort que pour aller chez le sieur Abraham, à Paris, ou dans les différentes campagnes qu'elle a louées successivement. En l'année 1784, ils ont occupé à Beaumont un petit appartement chez la dame Jouglas, mère de la dame Audinot; le sieur Abraham s'y est fait passer pour un frère du comparant. Ce stratagème ayant été découvert, ils ont loué une autre petite maison aux environs de Saint-Maur et fréquentoient une autre maison de campagne qu'une actrice de l'opéra tenoit à loyer à Charenton. Le sieur Abraham a ensuite acheté une maison à Chambourcy, où il demeure depuis près de deux ans et où la dame Audinot va passer une partie de l'été, sous le nom de la dame Daussy. Elle a eu l'imprudence d'y faire venir le fils du comparant avec une gouvernante et de l'y retenir pendant environ douze jours. Ce fait s'est réitéré aux fêtes de la Pentecôte de cette année ; elle a été avec le sieur Abraham à une pension de Picpus prendre cet enfant et le conduire à Chambourcy où elle l'a gardé pendant huit jours, connue seulement sous le nom de la dame Daussy; c'est sa cuisinière qui a fait la cuisine à la campagne dudit sieur Abraham. Leurs domestiques sont communs comme leur habitation, et le scandale est porté au point qu'il n'est plus permis au comparant de garder le silence, non qu'il croie la dame Audinot coupable des faits que sa conduite semble annoncer ; il aime à penser qu'elle ne l'est pas encore, mais cette conduite prouve que la séduction dont elle est entourée est porté à son dernier degré et si la loi permet au mari de se plaindre contre sa femme quand elle est criminelle et contre l'homme qui a partagé ce crime, il doit lui être également permis de recourir à la justice quand il est évident que sa conduite et ses démarches vont la rendre criminelle si elle reste plus longtems abandonnée à elle-même. C'est non-seulement contre elle qu'il a besoin de l'autorité de la loi, mais plus encore contre l'homme dangereux dont les conseils ont déjà enlevé la dame Audinot à son mari, mais qui, par ce genre de séduction dont il est coupable, peut la perdre pour toujours. C'est le motif pour lequel il nous rend plainte des nouveaux faits qui sont parvenus à sa connoissance." Signé : AUDINOT ; VANGLENNE. Sources: Campardon: Les spectacles de la foire. 2 volumes Paris 1877.