vendredi 16 avril 2010

Charles Ernest Théodat Guignet

Un chimiste haut en couleur

Le 4 septembre 1870 en pleine débâcle, un enfant du pays est nommé sous préfet à Langres. Charles Ernest Théodat Guignet, ancien élève de l’école Polytechnique[1], est né le 18 janvier 1829 à Giey sur Aujon. Fils de François Guignet[2] fondateur de la célèbre fabrique de porcelaines de Giey et de Marie Charlotte Faipoux[3] descendante d’une famille de colons de Saint Domingue, il obtient une bourse d’études pour les années 1849-50 et 1850-51 pendant lesquelles il fréquente l’X, d’où il sortira 62ème sur les 99 élèves de sa promotion[4]. Domicilié d’abord à Versailles, 26 rue Saint Antoine, il exercera en premier lieu la profession d’aide préparateur au laboratoire de Polytechnique puis de répétiteur adjoint, et ce jusqu’en 1854, puis simultanément les fonctions de directeur de la manufacture des Gobelins et de répétiteur de physique, toujours à l’X[5] tout en entreprenant des recherches sur les couleurs et ses applications dans la chimie industrielle. Ses travaux sur l’oxyde vert de chrome, dit vert Guignet[6], contribueront au développement de l’industrie des tissus imprimés et des papiers peints et lui vaudront le prix Monthyon, décerné par l’Académie des Sciences, d’une valeur de 2500 francs. Tenté par la culture en terrains d ficiles, il créera alors dans son village natal, un magnifique jardin potager et deux belles fermes, où il introduisit les méthodes les plus perfectionnées dans l’espoir d’améliorer l’agriculture en région montagneuse[7]. N’oubliant pas la devise de son école, « pour la patrie, la science et la gloire », et son statut militaire, Ernest Guignet  se présente spontanément, pendant l’été 1870, à l’autorité militaire langroise pour prendre part aux travaux de restauration, de terrassement et de fort ication de la ville et de ses alentours[8]. Les portes des Moulins et de Saint Didier viennent d’être reconstruites et aménagées avec des ponts-levis, les forts reliés par des chemins stratégiques sont en construction et on rajoute des batteries dans les intervalles. Les recrues sont en cours d’instruction, parfois sans armes et avec peu d’habillement. Telle est la situation lors de la chute de l’Empire, le 4 septembre. C’est aussi la date à laquelle Ernest Guignet est nommé sous-préfet de Langres[9].  Tâche délicate, puisqu’il devait à la fois satisfaire l’autorité militaire, à laquelle il était soumis, et ne pas délaisser la population civile. On stocke des produits de première nécessité dans les églises, tout en transformant la sous préfecture en atelier d’armement. Pour palier aux manques, il autorise la création d’une monnaie obsidionale, tout d’abord sous forme de bons en papier allant de 10 à 50 francs puis de jetons en carton pour remplacer les pièces de plus faible valeur. Il organise également une grande souscription destinée à fournir des vêtements aux troupes qui n’avaient reçu qu’un bien maigre paquetage ne permettant pas de les garantir des froideurs de l’hiver. A partir du mois de décembre il fait fonction de préfet de Haute-Marne puisque le titulaire s’est réfugié à … Langres, et grâce à un arrêté judicieux fait cesser les désertions de militaires[10] qui rejoignirent leurs corps d’origine. Simultanément il organise un véritable réseau de volontaires qui parcourent les départements alentours pour aller chercher marchandises et renseignements qu’ils firent passer au nez et à la barbe des troupes ennemies. Puis arriva l’armistice avec la chasse aux sorcières qui s’en suivit et l’incurie dont furent accusés certains fonctionnaires peu scrupuleux[11]. Le gouvernement de Thiers lui proposa une nouvelle sous préfecture, mais fidèle à son engagement initial[12] il retourne à la vie civile, plébiscité par l’ensemble des professeurs de Polytechnique pour continuer ses travaux de découverte et de vulgarisation de la science par des cours publics. Il y sera encore répétiteur, mais de chimie cette fois, pendant trois années, puis partira à Rio de Janeiro de 1874 à 1878 pour enseigner la physique à l’X de cette ville. De retour en France, il prendra la direction de la station agronomique de la Somme et y restera jusqu’en 1880, puis se consacrera essentiellement à l’écriture dans des domaines très variés ainsi que le montre la liste de ses ouvrages et rapports d’expertises suivants[13] : 
* Composition chimique et formation des couches de la grande oolithe et du forest-marble en Haute Marne. 1869[14]
* Recherches sur la composition chimique du vert de Chine (Iokao) 1872
* Cour d'appel de Nancy. Affaire E. Boucher et Cie... contre Godin... Arrêt de la Cour de Nancy ordonnant l'expertise. Rapport des experts [Aimé Girard, Barbedienne et Guignet] 1874
* Émaillage de la fonte de fer par les procédés de M. Godin. Contrefaçon de brevet. 1874.
* Épaillage chimique des laines et tissus. Affaire Veuve Joly contre les héritiers Frezon. 1876
* Département de la Somme. Station agronomique... Instructions sur la valeur des engrais. Analyses et essais effectués par la station agronomique 1880 
* Mise en valeur des mauvais terrains de la Somme par les plantations d'arbres résineux 1881 
* Les Couleurs 1889[15] 
* Rapport sur la viande sèche conservée à l'air libre, procédé Grognet. 1889
* Fabrication des verres rouges pour vitraux (XIIe et XIIIe siècles), 1889
* Rapport sur la soie art icielle découverte par M. le Comte de Chardonnet 1892
* Industries textiles. Blanchiment et apprêts, teinture et impression, matières colorantes 1895 
* La céramique ancienne et moderne 1899 
A partir de 1884, il sera également chargé de cours au Muséum d’Histoire Naturelle et assurera le cours de chimie de monsieur Chevreul, doyen des savants de France[16], jusqu’en 1889. Lauréat de diverses sociétés et titulaires de plusieurs prix[17],il fut considéré par certains comme le plus grand chimiste du XIXème siècle. S’il ne le fut pas, il marqua toutefois son époque avant d’être totalement oublié des dictionnaires, des biographies et de la population haut-marnaise.   
                                                                                                         
Notes: 
[1] Grâce à son dossier scolaire, on connaît sa description physique : Cheveux châtains - Front découvert - Nez long - Yeux roux - Bouche moyenne - Menton rond - Visage ovale - Taille 179 -

[2] François Guignet, né le 4 octobre 1771 à Flacey entre Vaux sous Aubigny et Dijon. Cet homme, chimiste de talent, est le condisciple de Napoléon Bonaparte à l'école de Brienne. Fournisseur en bois de la marine impériale, il achète des forêts dans la région et habite le château de Beauvoisin. C'est un entrepreneur important toujours à l'affût de capitaux et créateur, à l'aide d'associés, de plusieurs sociétés.

[3] Charlotte Faipoux, née à Philadelphie le 27 septembre 1794, est la fille du premier régisseur de la fabrique de porcelaine de Giey sur Aujon.

[4] Selon Abel Delanne (la porcelaine de Giey sur Aujon, in mémoires de la SHAL), il aurait  démissionné de l’école Polytechnique « en 1851 pour se livrer à l’étude de la chimie » ; ce qui semble peu probable car il n’aurait pas été classé 20ème dans le génie militaire et 62ème en général ainsi que le fait ressortir son dossier scolaire.

[5] Comme il était licencié es sciences mathématiques et de physique, il fut nommé répétiteur de physique à partir de 1854 et ce jusqu’en 1874. Il était également professeur de physique chimie à l’institut Barbet ainsi qu’à Sainte Barbe, et examinateur à Stanislas. 

[6] Invention qui est parfois attribuée à son père, également chimiste qui avait travaillé sur les couleurs ainsi que sur les dorures qu’il appliqua sur ses productions et qui passent pour être supérieures à celles de la porcelaine de Sèvres.  C’est cependant Ernest Guignet qui grâce à sa découverte supprima l’emploi des verts d’arsenic et de cuivre dans un grand nombre d’industries.

[7] Selon Delanne, op cité, il aurait « démissionné en 1864 afin de suivre des travaux de chimie agricole dans un laboratoire particulier » où il aurait formé plusieurs élèves. 

[8] Cet engagement dans le génie militaire correspond à sa formation à l’X puisqu’il sortira de cette branche classé 20ème. 

[9] Il prendra ses fonctions le 13 septembre 1870 pour les achever le 26 mars 1871, date de son remplacement. ADHM 4M1.

[10] Militaires qui avaient quitté leurs régiments à cause du froid et des maladies qui sévissaient.

[11] C’est probablement ce qu’on reprocha en vain à Guignet, puisque Cavaniol dit de lui qu’ « il a répondu aux attaques violentes dont il a été l’objet, de façon a mettre le bon droit et même les rieurs de son côté. » avec un « style serré et incis  ».

[12] Il avait accepté le poste de sous préfet uniquement pour la période de la guerre.

[13] Liste non exhaustive

[14] ADHM bibliothèque Barotte 662

[15] Le Petit Champenois du 24 mai 1890 décrit l’utilité de ce livre dans la vie quotidienne et l’aisance de sa lecture grâce à la fluidité du style employé par son auteur.

[16] Eugène Cheuvreul (1786-1889). In le mot d’ordre du 5 mai 1884. ADHM 7J45.

[17] Delanne cite la Société d’encouragement de l’Industrie Nationale, la Société Industrielle de Mulhouse, et celle d’Amiens et surtout l’Institut avec le prix Monthyon.

  Sources 

Dossier Guignet à l’école Polytechnique.
Site internet de la Bibliothèque Nationale de France.
Cahiers Haut Marnais numéros 103-105-106 et 121.
Mémoires de la Société Historique et Archéologique de Langres tome 4 : la porcelaine de Giey sur Aujon pages 259 et suivantes. Delanne 1929. 
L’invasion de 1870-1871 dans la Haute-Marne. H.Cavaniol Chaumont 1873.
Histoire de Langres, la vie d’une cité. Flammarion, Guyard, Journaux, May, Viard. Guéniot 1986


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire