TRANCHES DE VIE A ESSEY LES EAUX
Le 14 août 1912 Fernand Horiot, instituteur à Langres, remettait au maire d’Essey les Eaux un tapuscrit intitulé « Monographie d’Essey les Eaux ». Quelques années plus tard, certaines parties de son travail étaient publiées :
- Le folklore d’Essey les Eaux, pages 146 à 153 du tome IV des Mémoires de la Société d’Archéologie et des Beaux Arts de Chaumont (1911-1920)
- Un village sous la Révolution, Essey les Eaux, pages 2 à 10 du bulletin n°1 de la Société Haut Marnaise des Etudes Locales pour l’Enseignement Public (1er trimestre 1927).
Une partie inédite intitulée « biographies » - au cas présent la notion de "tranche de vie" serait plus appropriée - peut intéresser les généalogistes, parce qu’elle fait revivre quelques personnages du Bassigny :
"Jamais Essey n’a eu d’hommes marquants, mais néanmoins il en est qui sans être célèbres qui ont laissé par leurs contes, leurs farces ou leurs actes, un souvenir amusant et pour encore longtemps durable. Les vieux racontent à leurs enfants les bons tours que ces personnages jouèrent.
L’un de ces personnages se nommait La Raquette.
Le père La raquette comme on l’appelait communément était né à Is et se nommait de son vrai nom Voirin Laurent. Pendant la Révolution, il était marchand de chevaux. Sur ses vieux jours, il vint se fixer à Essey, chez son fils qui y était marié. Les bons mots, ses contes, ses farces égayaient les « écraignes ».
La Raquette qui venait d’avoir des jumeaux avait demandé pour être parrain de l’un de ses enfants un voisin, bon cultivateur pour l’époque. Ce dernier sachant que La Raquette n’était pas riche et le voyant tout contrarié de n’avoir pas suffisamment de grain pour « envoyer une cuite au moulin », d’autre part désirant s’acquitter du cadeau traditionnel que tout parrain devait aux parents de l’enfant, et qui consistait en une gerbe de blé, il envoya donc La Raquette moissonner cette gerbe dans un de ses champs où le blé commençait à mûrir. Le père La Raquette ne se fit pas prier ; dès le matin il partit avec sa faucille chercher le cadeau qui lui était offert. A son retour il va trouver le parrain généreux et lui dit : « Jé foteugne a fète, ton bié fé deux catieu lé jarbe ». Le parrain ne dut pas être convaincu ; il pensa plutôt en lui même que la gerbe prélevée avait des dimensions peu ordinaires.
Le père La Raquette fit surtout des farces aux curés.
Un jour, apercevant un lièvre dans le bois de Noyers, il l’apostropha en ces termes « Vé t’en don teu dre chés l’curé d’Noé, t’sré ben r’çu ». Le lendemain, par hasard il rencontra à Is le curé de Noyers ; il l’aborda et la conversation s’engagea :
« Bonjo M. le curé ».
« Bonjour père La Raquette »
« J’vos ai envoyé én béo lièvre ».
« Vraiment ! vous êtes bien obligeant ».
Et le curé de Noyers reconnaissant glisse une pièce de quarante sous dans la main de ce si brave homme. Arrivé chez lui, le curé de Noyers demande à sa bonne à voir le cadeau du père La Raquette, le beau lièvre qu’il lui a envoyé. Etonnement de la bonne qui jure n’avoir rien vu, et colère du curé, qui à la première rencontre du père La Raquette le traite de mauvais plaisant. Mais La Raquette proteste : « J’neseu paolé caose si é né pao élé ché vo, je li évo potan bén dit : vé t’en don teu dre chés l’curé Noé, t’sré ben r’çu ».
Un jour le père La Raquette fit cadeau d’un jeune chien au curé de Donnemarie. Il vante son caniche et pour montrer toute la confiance que le curé pouvait avoir en cet animal il lui dit : « M.l’curé, ça en chén d’éne bone rèce : Vo potieu étant tojo bén fromée, l’loup n’entreré jamé ché vos ».
Le père La Raquette allait mourir, et suivant l’usage M. le Curé étant venu lui rendre visite, lui parlait du bon Dieu et l’invitait à lui demander le pardon de ses péchés. Le père La Raquette aussitôt de répondre : « M.le Curé, j’nére qu’én graoce é d’mandé au bon Dieu, cé sro qué m’beille l’temps, évant d’meuri, d’prendredao puces piun én votiure é moichon ». La grâce sollicitée ne fut pas accordée, car peu de temps après La Raquette trépassait.
Toute la vie de cet homme était pleine de ces détails amusants ; aussi était il considéré comme un homme extraordinaire.
L’autre personnage qui lui aussi est resté dans la mémoire de beaucoup est Parisel, la forte tête d’Essey qui lors de la Révolution et de l’invasion de 1814 a beaucoup fait parler de lui.
L’histoire de la Révolution nous l’a un peu présenté, prenons le pendant l’invasion.
Il défendait son pays, se cachait et tirait sur les étrangers. Les cosaques étaient allés réquisitionner dans la ferme du Plesnoy où habitait Parisel, plus connu à Essey sous le nom de Conquie. Ce dernier embusqué dans le petit bois des Clercs Chênes ( Claies Chânes) tire sur le détachement des Cosaques qui ont bien vite cerné le bois et pris Conquie. Le prisonnier, malgré sa force peu commune est aussitôt ligoté et conduit à Essey alors occupé par les Cosaques. Sa pauvre femme suivait en pleurant ; les ennemis la « rechignaient » et s’adressant à Parisel lui disaient « Paour, paour ». Parisel arrivé avec les Cosaques à Nogent, fut lié par le cou au pied d’une table. A leur départ les ennemis l’emmenèrent , le faisant marcher pieds nus dans la neige et l’obligeant à traverser les rivières rencontrées au lieu de passer sur les ponts. Les Cosaques n’auraient sans doute pas tarder à lui faire un mauvais parti s’il n’était parvenu à s’échapper.
Il rentra chez lui, et alors ennemi à mort des Alliés, il recommença de détruire les envahisseurs, mais seulement lorsqu’ils étaient en petit nombre et qu’ainsi sa sécurité n’était pas menacée."
Ainsi se termine le texte de Fernand Horiot. Il a semblé intéressant de voir si le père La Raquette avait véritablement existé, ou s’il s’agissait d’une simple légende.
L’examen des registres paroissiaux et d’Etat Civil d’Essey les Eaux devait rapidement nous apporter la preuve que, s’il y avait de nombreux Voirin ou Voirain au village, il n’y avait nulle trace d’un Laurent Voirin pendant la période révolutionnaire, alors qu’il était sensé y demeurer. Il n’y avait pas non plus de naissances de jumeaux dans les registres de la paroisse. Compte tenu de la fréquence de ce patronyme dans les communes environnantes, il a quand même été trouvé un Laurent Voirin à Odival. Ainsi le 16 novembre 1744, se marie à Odival, Laurent Voirin, 28 ans, fils de Nicolas Voirin, laboureur et de Catherine Lambert, avec Gabrielle Dimay, 21 ans, fille de Charles Dimay, manouvrier et de Françoise Chaudron. Et c’est à Is en Bassigny que l’on peut trouver la naissance de deux enfants jumeaux dans la période 1780 / 1800 :
Le 11 juillet 1792 naquit Catherine de Jean Baptiste Voirin, marchand, et de Anne Maigrot. Elle a pour parrain Claude Voillequé, garçon, et pour marraine Catherine Charnot. Cet enfant décèdera le 14 septembre 1793.
Le 11 juillet 1792 naîtra son jumeau : Pierre Voirin. Il a pour parrain Pierre Dimey, garçon, et pour marraine Catherine Regnier femme de Nicolas Guyot recteur d’école.
Et c’est toujours à Is en Bassigny qu’il faut chercher le mariage de Jean Baptiste Voirin, fils de Laurent Voirin marchand, et de Gabrielle Dimey, avec Anne Maigrot, fille de Mammès Maigrot et de Anne Bélouet. L’union a été célébrée le 24 novembre 1783.
Si l’histoire racontée lors des veillées à Essey est plausible elle n’en demeure pas moins transformée. C’est donc plus sûrement à Is en Bassigny que se seraient passés une partie des farces rapportées. Le "père La Raquette" (Laurent Voirin), et son fils "La Raquette" (Jean Baptiste Voirin) étant des marchands il est peu concevable qu’ils aient été « sans le sou » comme le laisse entendre le récit. Quid également du parrain "bon cultivateur" qui n’était que garçon et donc probablement pas aussi aisé qu’il ne l’est dit.
Concernant François Parisel, son identification précise s’avère quasiment impossible tant les homonymes sont nombreux dans le Bassigny. On peut toutefois compléter le récit de Fernand Horiot en reprenant le passage publié dans le bulletin n°1 de la Société Haut Marnaise des Etudes Locales pour l’Enseignement Public qui mentionne que, pendant la tourmente révolutionnaire, le décret de la Convention ordonnant le désarmement des personnes suspectes eut son application à Essey en la personne de Parisel : "« …Le dit Parisel déclarait en compagnie que si dans le cas ont le désarmerait de sont fusil qu’il aurait leur vie ou eux la siens avant minuit et qu’il se moquer des trois quart du village et des autorité ».
On voulut l’enfermer dans une maison à Essey, mais il se sauva et aucun des braves gardes nationaux ne voulut « laler chercher parce qu’il est de trop grande menace et est grandement dangereus ». C’est à peine si le maire réussit à faire monter la garde pendant la nuit « de peur de malheur et incendie de sa part » Les habitants craignaient tant ce Parisel que personne n’osait passer près de sa maison. Ses actes continuels, ses refus de verser quoi que ce soit aux réquisitions, ses vols,… etc. le firent appeler devant le tribunal révolutionnaire de Bourmont. Les garde nationaux cherchèrent en vain à s’en emparer ; ce furent les gendarmes de Bourmont qui durent venir le prendre. Mais au tribunal il se défendit si bien qu’il ne fut condamné qu’à une amende de cent quatre vingt dix livres. Aussi n’était il nullement corrigé, et à peine de retour à Essey, il recommençait ses exploits."
Laissons à chaque lecteur le soin de répondre à l’ultime question : Quelle est la part de légende dans tous ces récits ?
Didier DESNOUVAUX
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