Le 21 mai 1852, la liste des transportés en Algérie comprend les individus suivants:
Neef Auguste, berger, 26 ans, sans fortune, célibataire né à Neufchateau (88),
Oudot Louis, tonnelier, 22 ans, sans fortune, célibataire, né à Lafauche,
Tous deux protagonistes de la société secrète du canton de Saint Blin avec Paul Vorin.
Ainsi que
Rollet Pierre Joseph, journalier sans fortune, âgé de 43 ans, marié un enfant dont nous avons raconté la destinée dans l'ouvrage Keskidees émigrés bassignots et comtois aux Etats Unis de 1830 à 1870 puisqu'une fois libéré il émigrera outre-atlantique. Nous y avons exposé quelques raisons politiques qui conduisaient les sympathisants socialistes à partir. En voici un autre exemple.
Les dossiers conservés aux archives départementales nous permettent de connaître les raisons qui ont valu à quelques personnes du canton de Saint-Blin de se faire expulser du territoire national.
"Paul Voirin, Oudot, Neef, Monsel, Sibillote, Vouillaume, Morel, Bourlier, Thiebault père, Thiebaut fils, Bourlier J.B.inculpés de formation et d'affiliation à une société secrète, organisée dans le canton de Saint-Blin.
Faits: dans la première quinzaine de février 1851, une société secrète, fut organisée dans le canton de St Blin, par les soins du sieur Paul Voirin et Neef Auguste. Un dimanche, de cette première quinzaine, une première réunions eut lieu, dans une maison isolée, appelée le moulin à vent de Semilly. Cette réunion avait été provoquée par Voirin Paul. Le but de la société était d'organiser une propagande démagogique par le moyen des livres et écrits périodiques, de lutter contre le gouverrnement et de travailler au triomphe des rouges (souligné dans le document). Ce but et les moyens à employer, furent exposés par Voirin Paul et Neef Auguste. Il faut ensuite recommandé à chacun d'amener le plus d'adhérents qu'il pourrait et de garder le plus grand secret. Quelque temps après cette réunion, un projet de règlement et d'organisation, écrit, fut présenté par Neef, à des témoins, ayant assisté à la première réunion, pour qu'ils se signalent comme membres de la société, ce qu'ils refuseraient. Ces faits sont rapportés, d'une manière irrécusable, par différents témoins, dont la déposition doit être d'autant moins suspectée, quils ont fait partie de cette société naissante.
Voirin Paul, 29 ans, demeurnat à Prez sous Lafauche (Hte-Marne). Il a les plus mauvaises tendances et de l'influence dans le canton. Il a été le promoteur et l'organisateur de la société dont nous venons de parler. Craignant les suites de sa conduite, il a pris la fuite et le mandat d'amener n'a pu être exécuté.
La commission décide, le sieur Voirin Paul, sera expulsé du territoire français.
Oudot scieur de long, 22 ans. A fait partie de la société secrète du canton de St Blin.
Antécédants. Fils d'un forçat libéré: capable des plus grands excès Soupçonné de plusieurs vols, ayant mission de raccoler des affidés à la société secrète. Les renseignements les plus précis s'accordent à le faire considérer comme un homme des plus dangereux. Il a pris la fuite, mais arrêté à Meaux, en état de vagabondage, il est à la disposition de la commission.
La commission décide. Oudot de Lafauche sera transporté en Algérie, classe plus.
Neef Auguste, 26 ans, né à Neufchateau (Vosges) demeurant à Semilly (Haute-Marne) il a été avec Voirin Paul, l'un des organisateurs de la société secrète du canton de St Blin et a fait des recrues pour cette société. C'est lui qui présenta à un témoin, et pour le liguer, un projet écrit de société et d'organisation propagandiste. Neef fut éxpulsé comme étranger; mais le gouvernement bavarois ayant refusé de l'admettre sur son territorie, Neef, détenu à Strasbourg, est à la disposition de la commission.
La commission décide le sieur Neef Auguste, sera transporté en Algérie, classe plus.
Bourlier Alexandre, de semilly, 34 ans, charron mécanicien,
Monsel Adrie, de Semilly, cultivateur,
Sibillote Claude Simon, maçon 37 ans,
Vouillaume Augustin, maçon 22 ans,
Morel Nicolas, maçon, 23 ans,
Thiebaut père, Louis,
Thiebaut fils, Jean Baptiste,
Bourlier Jean Baptiste, de Prez sous Lafauche, ciselier 35 ans,
Tous les huit prévenus d'avoir fait partie d'une réunion non publique et dont le but était politique et d'avoir fait partie d'une société secrète. Ce sont pour la plus part des jeunes gens, sans importance, et sans influence aucune, qui ont été conduits à cette réunion par les meneurs. Ce sont eux qui ont donné à la justice tous les renseignements qu'elle a eu sur cette affaire.
La commission décide les huit prévenus ci dessus dénommés seront mis en liberté."
La justice décide de faire arrêter Paul Voirin et de l'extrader. Le rapport de gendarmerie du 18 mars 1852 raconte, document à l'appui le départ de Paul Voirin pour les Etats Unis.
"Vu l'arrêté de Monsieur le Préfet de la haute Marne en date du quatorze courant faisant connaître à l'art. Premier que le sieur Voirin Paul de Prez sous Ladauche sera expulsé de France à toujours.
Cet arrêté a nous transmis par nos chefs pour être notifié, je me suis alors rendu à la ferme de Sylvamesnil ou habite la famille Vorin. Là j'ai trouvé le sieur Voirin père, auquel j'ai demandé où était son fils Paul, pour lui notifier un arrêté de monsieur le préfet d'après la commission du gouvernement du neuf de ce mois qui statue sur le sort des individus inculpés de délits politiques. Il n'a répondu que son fils qui faisait l'objet de ma démarche devait être dans ce moment en amérique près d'un de ses frères qu'il avait reçu une lettre de lui datée du Havre le trois du courant qui annonce que dans une heure il sera embarqué, et il m'a remis cette lettre pour justifier ses dires..."
"Dans une heure je serai embarqué, je n'ai que le temps de vous le dire. Je prie papa de me justifier, si par hasard notre infâme délateur de profession était parvenu à souiller des recherches de la police, notre demeure.
J'ai déjà vu la mer.
Je suis plein de confiance en Dieu et je vous embrasse tous.
Paul Voirin
Havre 3 février 1852"
Nous n'avons pas retrouvé la trace de Paul Voirin aux Etats Unis, si tant est qu'il y soit arrivé vivant. Sa famille ne semble pas avoir eu d'autres nouvelles que cette dernière lettre. La loi du 30 janvier 1881 a accordé une pension aux victimes du coup d'état de 1851, une preuve de plus que toutes les idées politiques sont respectables et finissent par connaître leur heure de gloire. Le père de Paul Voirin ayant été démis de ses fonctions, à ce moment là, en a été un des bénéficiaires, tout comme ses deux autres fils victimes de leurs idées socialistes. Si Paul Voirin était resté en France, nul doute qu'il aurait été réhabilité et aurait perçu cette pension.
Sources:Archvies départementales de Haute-Marne 61M32; 91M1