O
u quand l'assassin du Tsar adopte une jeune haut-marnaise
Après une première présence à Chaumont du 29 janvier au 1er février 1814, l'empereur de Russie Alexandre Ier et le roi de Prusse partent pour Bar sur Aube où ils arrivent en soirée et où se tiendra un véritable conseil de guerre contre l'armée française de Napoléon le 25 février. C'est à partir du lendemain qu'auront lieu à Chaumont les tractations devant aboutir au fameux traité de Chaumont fondateur d'une ère nouvelle. Les troupes des armées coalisées étaient cantonnées tant dans les environs de la préfecture haut-marnaise qu’autour du chef lieu de canton aubois. Comme partout, les troupes commirent des excès. Parfois elles eurent des actions plus heureuses. Celle d’Argentolles faisait-elle partie de ces dernières ?
En 1820, un vigneron d’Argentolles fait appel aux services de la préfecture pour savoir ce qu’est devenue sa fille Elisabeth qui a été confiée comme pupille en 1814, à un prince russe ou prussien. Elisabeth Merger, puisque tel est son nom est la fille d’Antoine Merger et d’Elisabeth Rosière. Il était alors un peu prématuré de dire qu’elle était orpheline puisqu’en 1820, ni sa mère, ni son père ne sont décédés. Son père était mourant en 1814, et il avait donné son consentement au départ de celle qui n’était alors qu’une enfant. Régulièrement la jeune Elisabeth écrivit à ses parents maternels. Et puis un jour plus rien. Son père, qui entre temps s’était rétabli se résolut alors à demander son aide au ministère des affaires étrangères dans l’espoir de revoir sa fille. Voici la lettre rédigée par le préfet audit ministère : « En 1814 le prince russe ou polonais Souchosaneff, aide de camp du général prince Zackewill emmena la jeune Elisabeth Merger, fille d'un cultivateur d'Argentolles petite commune du département de la Haute-Marne. Le père d'Elisabeth Merger était alors mourant dans son lit. La jeune fille n'était qu'un enfant: ainsi on ne peut accuser les vues de l'officier russe ». Effectivement Elisabeth Merger n’avait que 4 ans puisqu’elle naquit le 14 octobre 1810 à Argentolles [1] . « Depuis cette époque, Elisabeth Merger a écrit plusieurs fois à sa famille. Ses lettre prouvent qu'elle reçoit une éducation soignée. On voit même qu'en 1817, elle a fait sa première communion sous la direction d'un prêtre français, l'abbé Malherbe. Mais on ne voit pas si c'est à Moscou ou à Varsovie, et je remarque même l'affectation à donner son adresse d'une manière obscure. Ainsi en 1817 elle recommandait de lui adresser ses lettres sous le couvert de M le comte de la Ferronays [2] pour madame la baronne de Fortisson chez M Gauthin libraire pont des maréchaux à Moscou ». On voit bien que sa famille adoptive ne lui a pas caché que ses parents légitimes étaient toujours vivants. A-t-elle souhaité qu’elle l’oublie complètement puisque, si la jeune Elisabeth pouvait leur écrire, elle n’indiquait pas sa véritable adresse ? « Quoiqu'il en soit le père d'Elisabeth Merger désire passionnément revoir son enfant. Il voulait même aller la chercher jusqu'en Pologne; mais je lui ai représenté que les frais de ce voyage dérangeraient considérablement ses affaires et qu'il valait mieux demander qu'on lui envoyât sa fille, en promettant de la laisser libre de retourner auprès de ses bienfaiteurs si, comme il y a lieu de le croire elle ne s'accoutume pas au genre de vie qu'elle mènerait chez des paysans ». Même si la langue française était assez répandue en Pologne et en Russie, c’était quand même très aléatoire, pour Antoine Merger, d’espérer retrouver sa fille dans des pays inconnus. Le préfet de la Haute-Marne demande donc au ministre des affaires étrangère qu’il voulut «bien charger M l'ambassadeur de France à Petersbourg ou un agent français à Varsovie si nous en avons dans cette capitale de déterminer M le prince Souchosaneff à renvoyer sa pupille dans le département de la Haute-Marne. Si l'abbé Malherbe est encore à Varsovie ou à Moscou, il pourra indiquer la maison ou reste Elisabeth Merger. Il résulte au reste de ses lettres qu'elle était élevée chez une princesse , belle soeur du prince Zackewill et cousine de madame la princesse Obolenski. Je pense que ces diverses circonstances réunies à l'adresse qu'elle donnait pour Moscou en 1817 mettront aisément sur ses traces. Je vous prie votre excellence de recommander cette petite affaire avec intérêt. Le pauvre Merger se meurt de chagrin et attache tout le bonheur de sa vieillesse au plaisir de revoir sa fille».
Le ministère des affaires étrangères mène alors ses investigations et apporte une réponse le 26 février 1821 : « Le général d'artillerie prince Yachesvil [3] qui, du consentement des parents et d'Elisabeth Merger, l'a fait transporter en Russie; qu'elle se trouve en ce moment auprès du prince Yachesvil à Mouzomza [4] village dans le district de Kalouga et qu'ayant eu plusieurs fois occasion de retourner dans sa patrie, elle a constamment refusé d'en profiter; qu'en conséquence le prince Yachesvil a annoncé que, si le père désire l'avoir auprès de lui, il ne lui reste que de venir lui-même la prendre ou de l'envoyer chercher par une personne sure ». Comment Antoine Merger et son épouse Elisabeth Rosières ont-ils accepté cette réponse, qui leur a été transmise par le préfet ? Les pièces manquent pour le savoir. Ont-ils fait le voyage, au risque d’être déçus ? Rien n’est moins sûr.
Savaient-ils réellement qui était le prince Lev Yachesvil (ou Yachvil) ? Celui–ci est issu d’une famille noble géorgienne dont le nom est Mikhailovich prince Yachvil installée dans le village de Muromtsevo (à 174 kilomètres au sud-ouest de Moscou) dans le district de Kaluga. Les Yachvil sont deux frères, tous deux généraux : Lev (1772-1836), et Vladimir (1764 –1815). Ce dernier était un des auteurs de l’assassinat du tsar de Russie Paul Ier (1754-1801). Rappelons comment le meurtre s’est commît : Benningson, l'épée à la main, présente à Paul Ier un acte d'abdication à signer. L'autocrate refuse énergiquement. Valérien Zoubof le terrasse d'un vigoureux coup de tabatière, et Yachvil un homme d'une parfaite noblesse de sentiments, ainsi que Tatarinoff l'étranglèrent avec l'écharpe de l’officier Skariatine. Après avoir introduit ses complices, le général Pahlen gouverneur de Pétersbourg, attendait dans la cour du Palais l'issue de l'affaire. Informé de la réussite, il alla trouver Alexandre, qui se laissa proclamer empereur, non sans donner des regrets à la mémoire de son père. Ceux auxquels la rumeur attribuait un rôle actif dans la nuit du 11 mars 1801 se retirèrent alors dans leurs terres, le prince Yachvil, Skariatine et Tatarinoff, ainsi que Gardanoff, Argamakoff, Mansouroff et Marine. Vladimir Yachvil se retire dans le village de Muromtsevo
Finalement Antoine Merger meurt à Argentolles le 28 août 1853, âgé de 75 ans, son épouse de trois ans plus jeune lui survivra encore quelque temps. Le couple ne semble pas avoir eu d’autre enfant vivant qu’Elisabeth qui préféra mener une vie de domestique auprès d’un prince, dans son pays d’adoption, bien loin de la Haute-Marne qui avait vu naître bon nombre de ses ancêtres.
u quand l'assassin du Tsar adopte une jeune haut-marnaise
Après une première présence à Chaumont du 29 janvier au 1er février 1814, l'empereur de Russie Alexandre Ier et le roi de Prusse partent pour Bar sur Aube où ils arrivent en soirée et où se tiendra un véritable conseil de guerre contre l'armée française de Napoléon le 25 février. C'est à partir du lendemain qu'auront lieu à Chaumont les tractations devant aboutir au fameux traité de Chaumont fondateur d'une ère nouvelle. Les troupes des armées coalisées étaient cantonnées tant dans les environs de la préfecture haut-marnaise qu’autour du chef lieu de canton aubois. Comme partout, les troupes commirent des excès. Parfois elles eurent des actions plus heureuses. Celle d’Argentolles faisait-elle partie de ces dernières ?
En 1820, un vigneron d’Argentolles fait appel aux services de la préfecture pour savoir ce qu’est devenue sa fille Elisabeth qui a été confiée comme pupille en 1814, à un prince russe ou prussien. Elisabeth Merger, puisque tel est son nom est la fille d’Antoine Merger et d’Elisabeth Rosière. Il était alors un peu prématuré de dire qu’elle était orpheline puisqu’en 1820, ni sa mère, ni son père ne sont décédés. Son père était mourant en 1814, et il avait donné son consentement au départ de celle qui n’était alors qu’une enfant. Régulièrement la jeune Elisabeth écrivit à ses parents maternels. Et puis un jour plus rien. Son père, qui entre temps s’était rétabli se résolut alors à demander son aide au ministère des affaires étrangères dans l’espoir de revoir sa fille. Voici la lettre rédigée par le préfet audit ministère : « En 1814 le prince russe ou polonais Souchosaneff, aide de camp du général prince Zackewill emmena la jeune Elisabeth Merger, fille d'un cultivateur d'Argentolles petite commune du département de la Haute-Marne. Le père d'Elisabeth Merger était alors mourant dans son lit. La jeune fille n'était qu'un enfant: ainsi on ne peut accuser les vues de l'officier russe ». Effectivement Elisabeth Merger n’avait que 4 ans puisqu’elle naquit le 14 octobre 1810 à Argentolles [1] . « Depuis cette époque, Elisabeth Merger a écrit plusieurs fois à sa famille. Ses lettre prouvent qu'elle reçoit une éducation soignée. On voit même qu'en 1817, elle a fait sa première communion sous la direction d'un prêtre français, l'abbé Malherbe. Mais on ne voit pas si c'est à Moscou ou à Varsovie, et je remarque même l'affectation à donner son adresse d'une manière obscure. Ainsi en 1817 elle recommandait de lui adresser ses lettres sous le couvert de M le comte de la Ferronays [2] pour madame la baronne de Fortisson chez M Gauthin libraire pont des maréchaux à Moscou ». On voit bien que sa famille adoptive ne lui a pas caché que ses parents légitimes étaient toujours vivants. A-t-elle souhaité qu’elle l’oublie complètement puisque, si la jeune Elisabeth pouvait leur écrire, elle n’indiquait pas sa véritable adresse ? « Quoiqu'il en soit le père d'Elisabeth Merger désire passionnément revoir son enfant. Il voulait même aller la chercher jusqu'en Pologne; mais je lui ai représenté que les frais de ce voyage dérangeraient considérablement ses affaires et qu'il valait mieux demander qu'on lui envoyât sa fille, en promettant de la laisser libre de retourner auprès de ses bienfaiteurs si, comme il y a lieu de le croire elle ne s'accoutume pas au genre de vie qu'elle mènerait chez des paysans ». Même si la langue française était assez répandue en Pologne et en Russie, c’était quand même très aléatoire, pour Antoine Merger, d’espérer retrouver sa fille dans des pays inconnus. Le préfet de la Haute-Marne demande donc au ministre des affaires étrangère qu’il voulut «bien charger M l'ambassadeur de France à Petersbourg ou un agent français à Varsovie si nous en avons dans cette capitale de déterminer M le prince Souchosaneff à renvoyer sa pupille dans le département de la Haute-Marne. Si l'abbé Malherbe est encore à Varsovie ou à Moscou, il pourra indiquer la maison ou reste Elisabeth Merger. Il résulte au reste de ses lettres qu'elle était élevée chez une princesse , belle soeur du prince Zackewill et cousine de madame la princesse Obolenski. Je pense que ces diverses circonstances réunies à l'adresse qu'elle donnait pour Moscou en 1817 mettront aisément sur ses traces. Je vous prie votre excellence de recommander cette petite affaire avec intérêt. Le pauvre Merger se meurt de chagrin et attache tout le bonheur de sa vieillesse au plaisir de revoir sa fille».
Le ministère des affaires étrangères mène alors ses investigations et apporte une réponse le 26 février 1821 : « Le général d'artillerie prince Yachesvil [3] qui, du consentement des parents et d'Elisabeth Merger, l'a fait transporter en Russie; qu'elle se trouve en ce moment auprès du prince Yachesvil à Mouzomza [4] village dans le district de Kalouga et qu'ayant eu plusieurs fois occasion de retourner dans sa patrie, elle a constamment refusé d'en profiter; qu'en conséquence le prince Yachesvil a annoncé que, si le père désire l'avoir auprès de lui, il ne lui reste que de venir lui-même la prendre ou de l'envoyer chercher par une personne sure ». Comment Antoine Merger et son épouse Elisabeth Rosières ont-ils accepté cette réponse, qui leur a été transmise par le préfet ? Les pièces manquent pour le savoir. Ont-ils fait le voyage, au risque d’être déçus ? Rien n’est moins sûr.
Savaient-ils réellement qui était le prince Lev Yachesvil (ou Yachvil) ? Celui–ci est issu d’une famille noble géorgienne dont le nom est Mikhailovich prince Yachvil installée dans le village de Muromtsevo (à 174 kilomètres au sud-ouest de Moscou) dans le district de Kaluga. Les Yachvil sont deux frères, tous deux généraux : Lev (1772-1836), et Vladimir (1764 –1815). Ce dernier était un des auteurs de l’assassinat du tsar de Russie Paul Ier (1754-1801). Rappelons comment le meurtre s’est commît : Benningson, l'épée à la main, présente à Paul Ier un acte d'abdication à signer. L'autocrate refuse énergiquement. Valérien Zoubof le terrasse d'un vigoureux coup de tabatière, et Yachvil un homme d'une parfaite noblesse de sentiments, ainsi que Tatarinoff l'étranglèrent avec l'écharpe de l’officier Skariatine. Après avoir introduit ses complices, le général Pahlen gouverneur de Pétersbourg, attendait dans la cour du Palais l'issue de l'affaire. Informé de la réussite, il alla trouver Alexandre, qui se laissa proclamer empereur, non sans donner des regrets à la mémoire de son père. Ceux auxquels la rumeur attribuait un rôle actif dans la nuit du 11 mars 1801 se retirèrent alors dans leurs terres, le prince Yachvil, Skariatine et Tatarinoff, ainsi que Gardanoff, Argamakoff, Mansouroff et Marine. Vladimir Yachvil se retire dans le village de Muromtsevo
En disgrâce Vladimir reprend néanmoins du service
dans la milice de Kaluga lorsque Napoléon envahit la Russie en 1812, mais il
est à nouveau assigné à résidence par Alexandre 1er à la fin de ce qui est
connu en Russie sous le nom de « guerre patriotique ». Lev Yachvil,
qui est totalement étranger à cet assassinat, sera toujours dans l’entourage du
nouveau tsar puisqu’il l’accompagnera en France en 1814 comme commandant de
l’artillerie russe (un poste qu’il conservera jusqu’en 1832), et c’est à cette
occasion qu’il se verra confier la fille Merger.
Comme la petite Elisabeth Merger
a été élevée par la belle sœur du prince Yachvil, Il se pourrait qu’elle l’ait
finalement été dans le foyer de Vladimir Yachvil, mais cela reste une
hypothèse. Finalement Antoine Merger meurt à Argentolles le 28 août 1853, âgé de 75 ans, son épouse de trois ans plus jeune lui survivra encore quelque temps. Le couple ne semble pas avoir eu d’autre enfant vivant qu’Elisabeth qui préféra mener une vie de domestique auprès d’un prince, dans son pays d’adoption, bien loin de la Haute-Marne qui avait vu naître bon nombre de ses ancêtres.
Renvois
[2] Auguste Pierre Marie La Ferronnays (1777-1842) qui était alors
ambassadeur de France en Russie deviendra ministre des Affaires Etrangères en
1829-1829.
[3] Il s’agit Lev Mikhailovich Yashvil (1772- 19/04/1836) général d’artillerie.
[4] Il s’agit de Muromtsevo dans le district de Kaluga.
[3] Il s’agit Lev Mikhailovich Yashvil (1772- 19/04/1836) général d’artillerie.
[4] Il s’agit de Muromtsevo dans le district de Kaluga.
Sources :
Nikolai Mikhailovich : L'empereur Alexandre Ier , essai d'étude historique 1912
Henri Troyat : Nicolas 1er 2000
Xavier Korczak-Branicky Les Nationalités 1879
Mémoires de Denis Davydoff
Archives Départementales de Haute-Marne 99M1; Etat Civil d'Argentolles